Lettre à Henri, à Thomas, à tous ceux qui les ont précédé et qui les suivront, à tous ceux qui croient en l’esprit d’équipe
Publiée dans EXTRA-MUROS – Bulletin de l’Association des Anciens Élèves de Saint Martin de France – Novembre 2011
Extra-Muros est le lien qui nous lie à Saint Martin. Je le lis à chaque fois avec intérêt, même si je ne participe pas à la vie des anciens. L’article de Henri dans le bulletin de novembre 2010 a retenu toute mon attention.
J’ai reconnu au milieu de la première ligne de la photo de l’équipe de rugby 1976-77, mon frère Guillaume, qui avait gagné avec tous les autres le championnat académique.
Quelle aventure! Elle a commencé avec mon arrivée à Saint Martin au dernier trimestre de l’année 1968. J’étais en difficulté au lycée Janson de Sailly et le Père d’Aboville m’a accueilli en cours d’année dans son école. Il m’a fait confiance.
Pendant ce trimestre, j’ai été externe à Malbranche. J’ai pris mes marques au milieu d’une classe où ils se connaissaient tous très bien. Je suis devenu interne à Saint Benoit l’année suivante pour ma terminale.
A l’époque, je faisais beaucoup de sport et l’ambiance de Saint Martin m’a beaucoup apporté. Toutes les équipes traditionnelles étaient pleines, le foot, le volley, le hockey.
Il n’y avait pas de rugby, alors que les poteaux se dressaient devant le Château sur un terrain en pente qui défiait la gravité.
Elevé à l’école du rugby du Racing de France dès l’âge de 9 ans, j’ai proposé à Monsieur Chauvet, qui était le professeur principal d’Education physique, de créer une équipe de rugby avec les volontaires. Nous étions cadets en terminale. Dans mon souvenir, j’ai pu réunir une équipe de quinze joueurs avec 9 cadets et 6 minimes qui comme moi, ne trouvaient pas de place dans les équipes déjà constituées depuis plusieurs années. Je n’ai malheureusement pas de photographie de notre vaillante et frêle équipe qui est partie affronter pour la première fois celles du voisinage en maillot blanc.
Je me souviens tout particulièrement d’un match contre l’équipe de Sarcelles. Ils étaient beaucoup plus grands et lourds que nous. En arrivant sur le terrain, ils nous regardaient avec des yeux furieux comme si nous allions reproduire sur le terrain la lutte des classes, ce qui était tout de même un peu le cas, car nous étions tous très privilégiés à Saint Martin par rapport aux enfants de Sarcelles.
C’était l’hiver. Le terrain était gelé. La terre crissait sous nos crampons. Elle résonnait comme un tambour sous la charge des joueurs. Les plus grands étaient dans la mêlée qui a tenu et qui a même dominé la mêlée adverse pendant tout le match. J’étais demi d’ouverture, alors que j’étais maladroit des pieds, mais il fallait bien couvrir le terrain. Les autres ¾ étaient tous minimes et je courrais assez vite à cette époque. J’ai même failli marquer un essai mais je n’ai pas osé allé jusqu’au bout de ma course devant le mur adverse et j’ai voulu faire une passe au pied que j’ai raté.
Le jeu a été très viril, mais je ne me souviens d’aucune brutalité de la part des joueurs d’en face qui étaient peut être impressionnés par la cohésion de notre mêlée et notre façon de jouer.
Nous avons été battu mais avec honneur. Nous sommes revenus épuisés au vestiaire, épuisés mais heureux d’avoir tenu tête à cette équipe redoutable qui était la plus forte de la région.
C’est la même impression, que j’ai retrouvé au milieu de l’Atlantique Nord, emporté par le vent furieux d’une vraie tempête qui avait largement dépassait toutes les graduations de l’échelle de Beaufort. Nous allions de New York à la Trinité par la route directe. Nous avons été pris par deux dépressions qui se sont cumulées en nous entourant d’un panache de nuages comme l’œil d’un cyclone. La mer est devenue grise, rayée par le blanc de l’écume arrachée par le vent. L’équipage a abattu et ferlé la grand-voile comme une vraie mêlée de rugby, tous soudés autour de leur capitaine, qui était au pied du mat en donnant l’exemple. Le bateau a pris la fuite, tiré par un mouchoir de trinquette dans la nuit tombante, comme un cheval emballé. Les haubans vibraient comme un moteur d’avion à chaque passage de vague avec parfois des déferlantes qui recouvraient complètement le pont en remplissant le cockpit comme une baignoire. J’étais écrasé par la puissance du vent contre la barre à roue essayant de suivre les mouvements de la mer pour ne pas fatiguer le bateau. Je me souviendrais toujours du sourire de Rémy (ancien de Saint Martin), mon capitaine, et de la marque de confiance qu’il m’a faite en me laissant à la barre alors qu’il descendait se reposait avant son prochain quart. Cela a duré toute la nuit. J’ai eu le temps de penser à tous ceux que j’aimais et que je voulais revoir. La providence a été avec nous. Le bateau s’est comporté magnifiquement. La solidarité de l’équipage a été exemplaire.
C’est un souvenir très fort que je voudrai transmettre à tous ceux qui ont le privilège de faire leur scolarité à Saint Martin. L’esprit d’équipe est une grande force. Vous pouvez tous créer demain une équipe, un équipage, une association, une entreprise, une famille qui grandiront à condition de rester soudé et de transmettre à ceux qui vous entourent et qui vous suivent les valeurs et la passion qui vous habite. Surtout ne croyez pas que cela soit facile, ne croyez pas que cela se fasse immédiatement, cela peut demander toute une vie, avec parfois des échecs, des erreurs qu’il faudra savoir dominer, cela peut même demander plusieurs générations.
Olivier Badelon (Baccalauréat 1969)
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