Olivier Bernheim – Avocat au Barreau de Paris à la retraite – 12 Avril 2024
Le 9 avril 2024, Jonathan DAVAL était poursuivi pour dénonciation calomnieuse par son ex-beau-frère,
qu’il avait accusé d’avoir tué sa femme, ses ex-beaux-parents s’étant aussi constitués parties civiles.
Le prévenu avait été condamné, en 2020, pour le meurtre de sa femme.
Le Procureur de la République a requis sa relaxe en soulignant : « La loi et la jurisprudence reconnaissent à une personne poursuivie de pouvoir mentir, même si c’est moralement très dur ».
Mentir… Mentir au juge.
Le droit au mensonge sépare historiquement le droit écrit du droit anglo-saxon, dans lequel mentir au
juge est, en soi, poursuivi, et sévèrement sanctionné, au titre du « contempt of Court », que l’on peut
traduire comme l’outrage au Tribunal.
Le droit anglo-saxon reconnait de longue date le droit au silence, un prévenu pouvant légitimement
refuser de s’accuser : il peut donc garder le silence.
Le droit français, plutôt la jurisprudence, allait plus loin : certes, depuis l’abandon de la religion de l’aveu,
qui avait justifié tant de tortures, puisqu’il y avait un devoir de parler, le droit au silence est désormais
reconnu, et doit même être expressément signifié au gardé à vue, sous peine de nullité des poursuites. Et c’est un progrès.
Il y avait une logique : on vous force à parler, donc vous pouvez mentir pour vous défendre.
Comme souvent, à force d’empiler les réformes, nous sommes devenus des cumulards.
Le droit au silence met la personne soupçonnée à l’abri d’aveux si elle ne veut pas reconnaître sa faute, et nul ne peut le lui reprocher. Même si l’on peut en tirer des conséquences.
Ce droit suppose une contrepartie : dès lors que l’on peut se taire pour ne pas s’incriminer, l’on ne
devrait plus pouvoir mentir. Ce n’est pas une question de morale, mais de cohérence du système. Et le
droit anglo-saxon a donc créé l’outrage au juge qu’est le mensonge.
La construction jurisprudentielle de droit au mensonge, qui est une incitation à tromper le juge, c’est-à-
dire à se moquer de lui, n’a pas lieu d’être désormais maintenue, puisque le droit au silence dispense du
mensonge initialement nécessaire pour se disculper.
Mais, rien n’étant plus difficile que de changer les mentalités, nous n’avons pas su aller au bout du droit
au silence : l’un est exclusif de l’autre.
Pour revenir au procès de BESANCON du 9 avril, et n’en déplaise au procureur si réfléchi, il existe plus
qu’une nuance entre mentir et accuser autrui. Ce ne sont pas des synonymes. Une chose est d’affirmer ne pas avoir été là, une autre d’accuser nommément autrui. Une accusation n’est pas un mensonge !
Le Tribunal, qui pourra manier le scalpel plutôt que la hache, dira s’il opère une distinction entre les deux comportements : les excuses du prévenu, qu’elles soient sincères – l’on pourrait en douter – ou non, constituent un rideau de fumée qui ne saurait être ni absolutoire, ni excusatoire.
Une certitude demeure : même si l’on ne va pas jusqu’à créer le délit d’outrage au juge, ce qui serait
pourtant logique, l’ère de la promotion judiciaire du mensonge doit être déclarée terminée, et la
jurisprudence doit évoluer à la lumière du droit au silence.
Olivier BERNHEIM
12 avril 2024

12 avril 2024 
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