1 – Le fond de tableau est noir
Le système social français est à bout de souffle. Depuis des années il fonctionne à crédit. Les dépenses ne sont pas maîtrisées, des gaspillages insensés restent tolérés. Les nouvelles recettes inventées ne suffisent pas à financer les dépenses. En tendance, la dette sociale s’accroît, même si quelques inflexions vers le bas sont constatées épisodiquement.
Deux chiffres « clé » doivent être présents dans tous les esprits : les dépenses publiques représentent 56 % du PIB. Les prélèvements obligatoires 45 % de ce même PIB. Ces chiffres représentent des quasi-records en Europe. Autant dire que toute augmentation des dépenses sociales rendrait encore plus atypique le modèle social français et que l’augmentation des prélèvements obligatoires, théoriquement toujours possible, risque de tuer le malade, en méconnaissant les règles de base du fonctionnement d’une économie moderne.
Deux exemples très concrets, qui concernent chacun d’entre vous, pour illustrer ces notions générales :
- A des niveaux de salaire égaux ou supérieurs à 2000 euros par mois, quand une entreprise donne un salaire brut de 100, la part de ce salaire qui reste disponible pour celui qui le reçoit, c’est-à-dire le salaire net, est de 80. Mais le coût total de ce salaire pour l’entreprise est de 150. 80 à 150, c’est presque de 1 à 2. L’écart passe dans le financement du système social : 20 de charges sociales salariales + 50 de charges sociales patronales, cela fait 70 de charges sociales au total.
- Pour financer le système social, on utilise aussi les impôts, qu’on augmente jusqu’à imposer des revenus fictifs. Quand un élément de patrimoine de 100 rapporte 3, il est couramment imposé à un taux qui se situe un peu en dessous de 40%. Mais ce taux est appliqué sur les 3, alors que, compte tenu de l’inflation, le revenu réel n’est que de 0,5 ou au mieux 1. Autant dire que le revenu réel est confisqué, et que le capital est érodé par l’impôt. Mais il paraît que « c’est juste »…
2- Faut-il, peut-on créer de nouveaux droits à la retraite ?
Le système français de retraites est totalement opaque, extrêmement compliqué, terriblement inéquitable. Aucune de ces caractéristiques (que je ne demande pas mieux que d’expliciter et de justifier si vous me le demandez) n’a été sérieusement corrigée. De plus, financièrement, il est en faillite et les mesures prises il y a plusieurs années, puis à nouveau en 2010, s’apparentent à de l’acharnement thérapeutique sur un malade en coma dépassé : on ne fait que repousser l’échéance fatale.
Dans ces conditions, il est exclu de créer de nouveaux droits à retraite non financés. La question devient donc : peut-on trouver de la matière pour financer de nouveaux droits à retraite ? Avant de répondre à cette question, je vous propose de faire un détour, tenant compte du tableau général que je vous ai brossé.
Actuellement, le montant de la retraite que chacun perçoit est indirectement et en partie fonction du total des rémunérations perçues tout au long de la vie professionnelle. Le lien est donc indirect. Il n’existe que pour une partie de la retraite, il n’existe aussi que pour une partie des retraités (en très gros, le secteur privé). Là encore, si vous le souhaitez, je pourrai revenir sur chacune de ces assertions.
Tant qu’on conservera un système de répartition, le lien restera indirect car dans un tel système, la prise en compte de la rémunération d’activité induit des droits à retraite, droits exprimés en points, et ces points ne seront transformés en unités monétaires qu’au moment du paiement des pensions de retraite, en fonction des disponibilités financières existant à ce moment. Dans un système de capitalisation, le lien entre rémunération d’activité et pension de retraite pourra être plus direct. Mon opinion est que l’on arrivera nécessairement à un système de retraite où la part de la capitalisation grandira au détriment de la part de répartition ; ceci pour des raisons financières, d’équité, de responsabilisation des acteurs économiques. Mais il y faudra plusieurs décennies d’évolution progressive.
De toute façon, on n’échappera pas à la nécessité de considérer beaucoup plus qu’on ne le fait actuellement une pension de retraite comme une rémunération différée. Alors, pas de rémunération, pas de retraite ?
Compte tenu du contexte actuel, je doute fort -c’est un euphémisme- de la possibilité d’instaurer une rémunération en faveur des personnes qui ont des enfants et qui ne travaillent pas. En tout cas, deux voies me paraissent exclues : une allocation versée sur fonds publics, ou un maintien du salaire, ou d’une partie du salaire, à la charge de l’employeur, pendant la période non travaillée. Mais deux autres voies pourraient être explorées.
La première serait que les allocations familiales soient considérées comme une rémunération affectée à la personne qui ne travaille pas et servent d’assiette, ou puissent servir d’assiette, à la constitution de droits à la retraite, par le biais de cotisations qui seraient prélevées et affectées à un compte de retraite par capitalisation. Un tel système me paraît réaliste. On m’objectera à juste titre qu’il conduirait, toutes choses restant égales, et du fait des cotisations, à diminuer le montant effectivement disponible des allocations familiales. Certes. Mais une fiscalisation des allocations familiales pourrait autofinancer l’augmentation du montant brut des allocations, augmentation qui rendrait indolore le poids des cotisations.
La seconde voie paraîtra à beaucoup d’entre vous très utopique. Elle part de la constatation que 500 à 600 milliards d’euros sont versés chaque année à la population française, ou vivant en France, sous forme de protection sociale. Une partie importante de cette gigantesque somme est constituée d’allocations diverses et variées, à l’utilité discutable, qui ne vont pas toujours là où elles seraient le plus nécessaires, qui sont distribuées à travers des canaux et des procédures complexes, enchevêtrés, coûteux à administrer, qui occasionnent des fraudes importantes. Pourquoi ne pas purement et simplement supprimer ces allocations et les remplacer par une « allocation minimum d’existence » versée à chaque français, quelle que soit sa situation, quels que soient ses revenus, sans qu’un dossier doive être établi puis étudié ? A titre indicatif, 400 euros mensuels pour chaque adulte et 200 pour chaque mineur coûteraient la moitié du budget de la protection sociale. Une objection vient tout de suite à l’esprit : verser 400 euros par mois à Bernard Arnaud ou à Mme Bettencourt, vous n’y pensez pas ! Eh bien, fiscalisons cette allocation à l’impôt sur le revenu à un taux double du taux marginal de la personne concernée. Comme ce taux, y compris la CSG, est au maximum de l’ordre de 50%, l’allocation sera récupérée en totalité.
Cette idée, à priori farfelue, commence à faire son petit bonhomme de chemin.
Jean-Benoit Henriet
Salle Gaveau 11-2-2012
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