Les histoires de famille racontées par mes parents et grands-parents ont certainement nourri mon imaginaire et influencé ma construction personnelle.
Le rangement de ma bibliothèque dans mon nouveau bureau de consultation à la Trinité sur Mer m’a fait redécouvrir au milieu de mes livres de Médecine un fascicule imprimé par le Musée de la Ville de La Ciotat il y a une quarantaine d’années qui raconte l’histoire de Joseph-David Badelon.
Ce fascicule intitulé « LA CIOTAT d’hier et aujourd’hui » m’avait été offert lors d’une visite en famille du musée de la Ville en 1983, à l’occasion de l’enterrement de mes grands-parents à quelques mois d’intervalle, le Docteur François Badelon et de son épouse Elisabeth, née Pelletier.
Joseph-David Badelon était un vrai radical qui a transformé la vie de ses concitoyens en défendant et en appliquant ses idées malgré la résistance des notables de l’époque aussi bien bonapartistes que républicains.
Il faisait partie de cette minorité d’hommes porteurs d’idées généreuses et altruistes qui ont consacré leur vie à transformer la société dans laquelle ils vivaient avec un esprit pratique répondant aux besoins de leur époque..
Joseph-David Badelon a été élu Maire de la Ville de La Ciotat pour la première fois en Août 1870 au lendemain de la déclaration de guerre à la Prusse avec un programme simple et novateur, « le développement de l’instruction primaire sous une forme gratuite et laïque, et le droit pour les conseils municipaux d’exprimer des vœux politiques ».
Opposant notoire à Napoléon III, il a pourtant été destitué par le nouveau gouvernement républicain et remplacé par des notables plus conservateurs. Cela ne l’empêchera pas d’être de nouveau élu quelques mois plus tard en avril 1871, puis en juin 1872, avec de nouveau une opposition farouche du gouvernement et de son préfet qui le destitue pour le remplacer par une municipalité d’«ordre moral» jusqu’à ce que de nouvelles élections lui redonnent les clés de la ville en octobre 1976, pour être encore destitué au changement de préfet en septembre 1877.
C’est à cette occasion que Joseph-David Badelon a écrit au Préfet responsable de sa destitution : « On m’avait appris qu’en République, un maire républicain est une anomalie. Vous avez compris que j’étais trop soucieux de la dignité qu’assure au maire le respect et la confiance de ses administrés pour consentir à devenir, à certaines heures, l’agent électoral des partis qui ne désirent que le renversement de la République. Vous m’avez bien jugé. J’estime cette révocation comme un honneur».
Cette opposition farouche venant de Paris, ne l’a pas empêché d’être encore élu pour la quatrième fois en décembre 1877, à la suite de la victoire aux élections législatives d’un député radical qui organise une nouvelle élection, puis de nouveau en janvier 1878 avec comme programme : « Liberté de conscience et abrogation de tout règlement de Police pouvant entraver la mise en pratique de ce principe, séparation de l’Église et de l’État dans ses rapports avec la commune. »
La fréquence de ces élections et le fait que le pouvoir central puisse démettre un Maire démocratiquement élu quand il dérangeait la « Doxa » est surprenant pour quelqu’un de notre époque mais c’était manifestement la persistance des mauvaises habitudes héritées de la royauté et de la monarchie bonapartiste malheureusement reproduite par les notables républicains de l’époque.
Malgré ces rebondissements, Joseph-David Badelon a été très actif et ses réalisations ont permis à la Ville de La Ciotat de faire un grand bond en avant.
Il a entrepris des travaux importants à la fois structurels et d’embellissement, en détruisant les derniers remparts qui l’enserraient et en agrandissant le port.
Il a ouvert des écoles gratuites bien avant les lois de Jules Ferry, une école de garçons en 1873, une école professionnelle et technique en 1879, et une école de filles jumelée à une garderie d’enfants en 1880.
Son fait de gloire pour la Ville de La Ciotat fut la construction d’un canal d’adduction d’eau pour capter une partie de l’eau de la Durance à Aubagne à la suite de la terrible sécheresse de 1877-78. Il lui fallut convaincre le Ministère des travaux publics, le Conseil Régional et la Compagnie des Messageries maritimes pour obtenir les subventions et l’emprunt nécessaires.
Son décès prématuré, le 1er Octobre 1880, provoqué par un « rhumatisme universel » en plein hiver, probablement une pneumonie hivernale, l’empêcha d’assister à l’inauguration du complexe scolaire en 1881 et du canal en 1883 qui devraient tous les deux porter son nom, au lieu d’une simple rue dans la vieille ville.
Pourtant il parait que « sa mort fut cruellement ressentie à la Ciotat car le Maire avait su s’acquérir, tant par la droiture et la fermeté de ses idées que par ses connaissances et son anémité, la sympathie générale de la population ».
La municipalité suivante le remercia tout de même en organisant une subvention publique pour ériger un obélisque sur sa tombe.
« Ainsi se perpétue au-delà de la mort le souvenir d’un homme qui lutta toute sa courte vie pour ses idées généreuses et pour la prospérité de sa petite patrie »…
J’ai écrit cet article le 8 Septembre 2022 au matin lors d’une pause entre deux consultations sans savoir que mon oncle Louis Badelon venait de nous quitter, le même jour que la Reine Elisabeth d’Angleterre et certainement de très nombreuses personnes anonymes et tout aussi méritantes dans leur histoire personnelle, car si nous ne sommes pas responsables de notre naissance à moins de croire à la réincarnation, nous sommes entièrement responsables de ce que nous faisons de notre vie.
C’est à Louis Badelon et à tous ces anonymes que je dédie cet article en espérant que Joseph-David Badelon puisse servir d’exemple pour tous ceux qui rêvent d’améliorer notre société.
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