Il faut donner aux soignants exerçant en libéral le temps de faire correctement leur travail et le reconnaître à sa réelle valeur


La rémunération à l’acte est obsolète. Il faut réinventer une rémunération personnalisée qui dépende de l’activité réelle de soins des praticiens et de tous les soignants paramédicaux, notamment infirmiers et kinésithérapeutes. Elle doit reposer d’une part, sur la compétence et les titres acquis au cours de leur cursus de formation initiale avec une bonification pour la formation continue, et d’autre part, sur le temps réel passé au service du patient pondéré par la nature de l’acte et par l’amortissement des moyens nécessaires.

L’acte médical ne doit plus être réduit à un simple acte technique réalisé à la chaîne et comptabilisé comme tel par les gestionnaires des organismes payeurs. Il doit prendre en compte l’ensemble des actions réalisées pour soigner, c’est-à-dire aussi bien les actes réalisés en présence du patient que les autres, notamment la tenue du dossier médical, les courriers, les certificats, les avis téléphoniques et les transports.

 Les avis téléphoniques sont consommateurs de temps et ils engagent entièrement la responsabilité du médecin sur le plan déontologique, sans qu’il puisse se défendre en cas de mauvaise interprétation de la part du patient. Il faudrait que ce temps puisse être comptabilisé et même enregistré comme dans de nombreuses entreprises qui se servent de ce moyen pour contrôler la qualité de leur service. Cela permettrait de limiter les appels excessifs et d’éduquer tous les intervenants tout en servant de référence en cas de conflit de responsabilité.

 Les transports peuvent prendre beaucoup de temps, notamment pour les médecins exerçant dans des régions reculées, notamment en montagne. Il est tout à fait anormal de ne pas comptabiliser ce temps comme un temps de travail réel au service du patient. Il suffit d’avoir un horodateur comme pour les taxis, avec un tarif de base majoré en fonction du kilométrage et du temps passé pour tenir compte des conditions de circulation.

D’une façon générale, le temps de travail en dehors des horaires habituels doit être valorisé à sa juste valeur.  Le tarif des actes effectués pendant les jours fériés et la nuit devrait être majoré au même titre que ceux d’un plombier ou d’un serrurier. Le tarif de nuit devrait être doublé. Celui des fins de journée devrait être majoré de 20 à 30% entre 18 et 20h, celui du samedi de 30% le samedi et celui du dimanche de 50%. Cette majoration du tarif conventionnel serait à la charge de la Sécurité Sociale et des assurances complémentaires, seulement en cas d’urgence justifiée, sinon elle resterait à la charge du patient.

 L’acte médical est un acte personnalisé et il doit être reconnu comme tel. Il n’est pas normal qu’un médecin ou un chirurgien puisse déléguer tout ou partie de ses actes à un autre et encore moins à un aide non qualifié ou à un autre soignant paramédical, tout en percevant à son nom la rémunération de cet acte. La responsabilité du médecin est alors entière et il faut se demander quelle serait la réaction du patient et des assureurs s’ils avaient l’entière connaissance de telle pratique.

Cela est tout particulièrement vrai pour l’acte chirurgical qui doit être réalisé en totalité par le chirurgien responsable du patient. Il faut pour cela valoriser l’aide opératoire en reconnaissant son existence et en le rémunérant en tant que tel.

Cela est aussi vrai pour les soins pratiqués par les paramédicaux, notamment les kinésithérapeutes. La nomenclature ne prévoit pas les soins de groupe alors qu’il est courant que certains kinésithérapeutes prennent plusieurs patients à la fois, transformant leur cabinet en salle de gymnastique, et abandonnant parfois leur patient dans un coin pour s’occuper d’un autre.

Les garagistes ont bien un système officiel de rémunération horaire forfaitaire. Les avocats sont bien rémunérés au forfait et au temps passé, même au téléphone. Pourquoi pas les médecins et les paramédicaux ?

Cela permettrait d’éduquer les consommateurs de soins et de réguler l’activité des soignants en définissant une durée d’activité de soins maximale qui éviterait les excès de la concurrence et la dichotomie, tout en maîtrisant les dépenses de consultations et d’actes chirurgicaux, à condition d’assurer une rémunération valorisante aux médecins et autres soignants, rémunération qui est une garantie de qualité et d’intégrité.

 Cela suppose une refonte complète de la nomenclature avec une entente des praticiens qui dépasse la querelle entretenue par les pouvoirs publics et certains syndicats entre généralistes et spécialistes.

Cela suppose un travail en profondeur avec les représentants des usagers et des organismes payeurs en comparant les rémunérations horaires de tous les soignants aux autres corps de métier, ce qui aboutira forcément à une revalorisation importante de leur métier. Cette demande correspond à l’aspiration des Français qui situent les métiers de médecin et d’infirmier parmi les plus importants de notre société.

 La refonte de la nomenclature pour les infirmiers et les kinésithérapeutes est en effet tout aussi indispensable que pour les médecins afin d’assurer à la fois une qualité des soins et une rémunération adaptée à la compétence professionnelle demandée. Le raisonnement est le même que pour les actes médicaux. La rémunération des actes doit dépendre de la compétence, de l’amortissement des moyens et surtout du temps passé à condition que les soins soient personnalisés. Peut-être faudra-il reconnaître les actes de rééducation de groupe à condition de les définir de façon précise et de les rémunérer de façon différente.

Olivier Badelon

dans « Allo Docteur, la France est malade » (2002) – Chapitre VII

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