La responsabilité politique est en première ligne


 C’est un gouvernement dirigé par le Général De Gaulle qui a créé la Sécurité sociale au lendemain de la dernière guerre mondiale. Il s’agissait d’un système généreux basé sur la répartition qui a fonctionné sans souci pendant toute la période d’expansion économique d’après guerre.

Malheureusement, ses successeurs ont été dépassés par les réalités économiques et l’irresponsabilité de nos organismes de décisions, généralement incontrôlés et éloignés de la réalité du terrain, et souvent conseillés par des personnes sous l’influence des lobbies et des corporations aux pouvoirs établis.

L’augmentation des dépenses de soins n’est rien à côté de celles des retraites qui ne feront qu’augmenter alors que la population active ne fait que diminuer.

Cette incompétence de gestion et de décision des politiques qui est chronique depuis longtemps peut prendre des dimensions catastrophiques quand ils sont confrontés à des situations de crise.

L’affaire du sang contaminé est un exemple flagrant de la lourdeur de notre système de décision et de l’irresponsabilité de ses acteurs. Il n’est pas question de vouloir mélanger ceux qui en ont tiré des profits personnels et ceux qui ont cru agir dans l’intérêt général. Mais il faut reconnaître que tous les intervenants ont été responsables, depuis les politiques jusqu’aux médecins prescripteurs, sans oublier certains donneurs de sang et parfois l’entourage familial de certains patients, avec bien sur un niveau de responsabilité différent pour chacun, sans oublier les médias de l’époque qui avaient les éléments en main pour mettre la population en alerte.

L’épidémie de SIDA qui a explosé aux USA dans les années 83-84 était connue des médecins et des médias. Il suffisait de connaître le mode de transmission pour comprendre la gravité de la situation sur le plan épidémiologique avec une augmentation des personnes atteintes par le virus qui était alors presque exponentielle.  Il suffisait de connaître le caractère très mutagène des virus en cause pour comprendre que la vaccination ne serait jamais universelle, si elle était obtenue un jour, et qu’il faudrait l’actualiser en permanence comme pour le vaccin de la grippe. Tout cela était connu, mais il ne fallait pas en parler pour ne pas affoler la population et pour ne pas mettre en cause les minorités qui étaient alors les plus atteintes, c’est-à-dire les drogués et surtout les homosexuels masculins, alors que ce fléau concernait déjà l’ensemble de la population mettant en danger les principes fondamentaux de l’organisation de la transfusion sanguine en France.

Il se trouve qu’à cette époque la transfusion de confort était une pratique courante et que la mode chirurgicale était de développer des techniques et des protocoles de plus en plus lourds afin d’essayer de diminuer le temps d’hospitalisation et de récupération. Cela explique probablement la lenteur du temps de réaction du corps médical qui n’a pas compris la gravité de cette nouvelle maladie en s’appuyant sur le conformisme d’un système réglementé, à la fois très strict puisqu’il empêchait par exemple les dons entre proches d’une même famille, et très laxiste puisqu’il autorisait les dons bénévoles sans véritable contrôle des sujets à risque, notamment dans les prisons.

Laurent Fabius aurait pu devenir un véritable héros politique s’il avait reconnu son entière responsabilité, et mis en accusation le système qu’il dirigeait, en faisant des propositions pour le faire évoluer, car le problème de fond est là ! Tout le monde peut se tromper. Le reconnaître et en tirer les conséquences, c’est progresser. C’est notre système politique et administratif qui est responsable. Le conservatisme de l’intelligentsia, l’opacité de la hiérarchie, le pouvoir sans contrôle des ministres et surtout de leurs conseillers, et enfin le droit de réserve qui muselait les autres, notamment les médecins hospitaliers, ont bloqué le système.

C’est la centralisation des pouvoirs, la lourdeur de la législation et des procédures administratives, ainsi que la dilution des responsabilités sur le terrain qui sont les causes essentielles de cette catastrophe. Cela peut donc recommencer demain dans un autre domaine, car rien n’a encore changé.

La crise de la « Vache folle » en est un exemple. Comment a t’on pu laisser fabriquer des substances alimentaires à partir d’animaux décédés en dehors des abattoirs dans des conditions souvent suspectes. La responsabilité est probablement gouvernementale si des autorisations officielles ont été données. Elle est aussi individuelle pour les industriels qui ont fabriqué de tels produits, pour les vétérinaires qui ont surveillé le processus de fabrication, et pour les éleveurs qui ont nourri leurs animaux avec ces produits pour des raisons économiques sans se soucier de leur provenance en rompant complètement le cycle de la nature.

Le domaine de la Santé est une caricature des vices de notre système de décision politique car on y retrouve les principales causes d’irresponsabilité et de décadence au profit de quelques minorités qui cumulent les pouvoirs de décision sans aucune évaluation des résultats et sans aucune sanction en cas d’échec car ces pouvoirs ne découlent pas des urnes mais du système lui-même. En effet, les personnes qui sont directement en cause ne sont pas seulement les politiques mais aussi tous ceux dont ils s’entourent et qui se ressemblent tous, ce sont les conseillers ministériels.

Actuellement, les Ministres sont avant tout, les portes paroles d’une politique gouvernementale qui est définie par les technocrates qui les entourent. Ils n’ont pas une compétence et une longévité suffisantes pour mettre en place de véritables réformes, car leur objectif prioritaire est leur propre longévité politique avec des échéances électorales qui se succèdent au rythme des postes qu’ils cumulent. Ce n’est pas telle ou telle corporation qui est en cause et il serait dommage de céder aux sirènes qui veulent faire de l’Ecole Nationale d’Administration l’unique responsable de ce gâchis politique.

Lors d’une élection, les Français votent pour un candidat en fonction de sa personnalité, de ses compétences et du programme qu’il propose. Ils attendent que ce candidat essaye de réaliser le programme pour lequel il a été élu en s’entourant d’une véritable équipe de confiance dont les résultats seront jugés lors des élections suivantes.

En fait c’est un tout autre scénario qui se déroule après chaque élection. Le vainqueur partage ses pouvoirs avec ceux qui lui ont permis d’être élu en distribuant les postes en fonction des alliances et non pas en fonction des compétences. Ces hommes, étant en général incompétents dans le domaine qui leur est confié, s’entourent de conseillers selon des critères qui sont souvent plus personnels et politiques que techniques. De plus ces conseillers sont le plus souvent des fonctionnaires, plus ou moins détachés de leur fonction, car les émoluments des postes de responsabilités ministériels sont ridicules, et les usagers et les professions libérales sont rarement représentés.

Comment voulez-vous qu’une telle équipe gouvernementale puisse réussir et innover quand les hommes qui la composent se ressemblent tous, avec le même fonctionnement intellectuel, quelle que soit leur couleur politique. En plus, les personnels ministériels qui gèrent les dossiers courants ne changent pas, laissant perdurer un collectivisme rampant qui empêche toute évolution vers une société responsable.

 Il est évident que la cohabitation entre un Président et un gouvernement différent sur le plan politique est une catastrophe pour un pays. C’est comme si un navire était commandé par un capitaine et gouverné par un pilote avec des méthodes, et parfois des objectifs, complètement différents. Ce bateau n’irait pas loin en cas de difficulté de navigation. La cohabitation au sein d’un gouvernement d’alliance est encore plus sournoise, car l’entente de surface qui est imposée par la cohésion gouvernementale n’empêche pas les luttes de pouvoirs intestines et les divergences d’action. Les seuls partisans d’une telle situation sont les partisans de l’immobilisme et des privilèges acquis.

L’alternance, ce n’est pas l’alternance entre une cohabitation de droite et une cohabitation de gauche, c’est une alternance entre des équipes homogènes qui soient crédibles pour gérer notre pays. Le fait de soutenir un candidat ne donne pas le droit de prendre part à la décision avec lui ou à sa place. Le fait de voter pour un candidat donne simplement la possibilité de lui dire ce que l’on pense et de le sanctionner lors des élections suivantes. Cela devrait être aussi vrai sur le plan individuel que collectif par le biais des partis politiques, des syndicats et des associations.

Le cumul de fonctions des politiques professionnels n’améliore pas leur efficacité, bien au contraire. Il améliore surtout leurs émoluments et leurs moyens logistiques ainsi que leur longévité politique, car ils peuvent déléguer à leurs collaborateurs et jongler d’un poste à l’autre, sans que l’électeur puisse réellement les juger sur leurs compétences de gestionnaire ou d’innovateur.  Ce n’est pas en étant Maire qu’un Député ou un Ministre peut avoir de meilleurs contacts avec ses concitoyens, c’est en étant réellement avec eux dans la vie quotidienne et en y retournant de façon régulière au cours de sa carrière professionnelle.

Il nous faut des politiques compétents ayant l’esprit ouvert sur l’ensemble de notre société. Il nous faut des politiques responsables de leurs actes qui ne puissent pas cumuler plusieurs fonctions de responsabilité. Il nous faut des politiques qui soient plus représentatifs de la société civile. En retour, il est indispensable de leur proposer une rémunération décente, à la hauteur du travail et des responsabilités qui leur sont demandés, ce qui n’est absolument pas le cas actuellement.

Cette ouverture de la carrière politique à la société civile est indissociable d’une évolution des fonctions et du partage du travail pour nos élus. Ce partage existe au niveau municipal. Il n’existe pas pour les Députés nationaux ou européens et l’absentéisme à l’Assemblée Nationale que les Français peuvent constater grâce à la télévision est scandaleux. Il faudrait au moins que le Député et son suppléant puissent travailler ensemble en se partageant les tâches, pour être réellement présents à la fois sur le terrain, en commission et aux séances parlementaires en fonction de leur disponibilité et de leur compétence. Leur salaire serait partagé de façon égalitaire avec une part fixe et une part variable dépendant de leur présence réelle aux séances parlementaires. Ce partage du travail et de la rémunération des Députés permettrait d’ouvrir l’Assemblée nationale et européenne aux femmes et aux hommes qui ont déjà des responsabilités professionnelles et familiales importantes. Ce partage permettrait d’augmenter les compétences et la représentativité de nos élus en les obligeant à travailler en équipe. Ce serait une ouverture supplémentaire à la vie politique pour les représentants de la société civile et en particulier pour les femmes.

Cette ouverture de la carrière politique à la société civile est en effet indissociable de l’ouverture de la carrière politique aux femmes qui ne sont pas assez représentées. Il est évident que les femmes peuvent améliorer à la fois les relations et les décisions politiques, à condition de leur en donner les moyens. La méthode directive de la parité est une erreur car elle transforme en obligation un partage qui devrait être vécue de façon complémentaire et non pas de façon conflictuelle. C’est la porte ouverte à la politique des quotas qui est une négation de la tradition républicaine. De toute façon la parité est injuste car les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Si les défenseurs de la parité voulaient vraiment la juste représentation des femmes en politique, il faudrait qu’elles soient plus nombreuses que les hommes.

Par ailleurs, il est dangereux et inacceptable que des fonctionnaires puissent faire carrière dans la politique sans être obligé de quitter l’administration. Par obligation, un fonctionnaire qui est un agent de l’Etat républicain ne devrait pas pouvoir exercer une fonction politique élective. Cette règle devrait être appliquée à tous les fonctionnaires, comme pour les militaires. En tout cas, si on conserve la possibilité d’avoir une disponibilité au cours d’une carrière de fonctionnaire pour faire de la politique, cette disponibilité devrait être limité dans le temps et non répétitive. Elle devrait aussi être respecté par tous.

Ce qui est grave, c’est à la fois le cumul des postes et des responsabilités sur la tête de quelques personnes, mais aussi et surtout le conservatisme que cela provoque, car ces personnes se ressemblent tous, quelle que soit leur couleur politique, avec un véritable blocage des mentalités qui empêche toute évolution.

La mode est de critiquer les énarques qui cumulent les postes et qui peuvent revenir dans leur corps d’origine en cas d’échec électoral avec une garantie de rémunération et d’emploi sans perte d’ancienneté, mais que dire de certains fonctionnaires, notamment dans l’enseignement universitaire, qui cumulent des fonctions politiques, électives et ou de conseil, sans prendre de disponibilité. C’est bien le cas dans le domaine de la Santé où les médecins hospitaliers titulaires à temps plein, qu’ils soient universitaires ou non, peuvent à la fois avoir un mandat d’élu ou de conseiller ministériel, avec toute la charge de travail et de responsabilité que cela comporte et parfois la rémunération, sans quitter leur poste hospitalier et ou universitaire. Il suffit de voir le nombre de Professeurs des Universités dans les couloirs de l’avenue de Ségur pour comprendre où est le vrai pouvoir et que les énarques ne sont pas les seuls responsables.

En tout cas, il n’est pas question que les politiques puissent continuer impunément à transférer leur responsabilité sur les autres. Il faut se rendre compte que la responsabilité des Ministres et de leur entourage décisionnel est engagée dans les choix qui touchent à la Santé de leurs concitoyens. Il est parfaitement possible que les Français puissent un jour porter plainte contre leurs dirigeants politiques s’il est possible de prouver que leurs décisions sont responsables de façon directe ou indirecte d’un défaut de prise en charge préjudiciable à leur santé personnelle. C’est une démarche qui peut aussi être choisie par les médecins prescripteurs si on leur impose des choix qui sont contraires à leur éthique et à la déontologie médicale.

Le système est emballé et la maîtrise comptable qui est proposée par les politiques est insuffisante et irresponsable, car elle ne peut qu’avoir des effets temporaires, en entraînant inévitablement une dérive vers une « médecine à deux vitesses » et surtout un véritable marché noir des soins. La maîtrise des dépenses de santé est une priorité, mais elle ne doit pas devenir un argument électoral qui serve la promotion de tel ou tel ministre, car elle ne peut pas être comparée avec des résultats qualitatifs même à court terme.

Il faut responsabiliser l’ensemble des acteurs en cause, c’est-à-dire aussi bien les décideurs politiques que les soignants et les soignés. Il faut changer le système et les règles du jeu, mais il faudrait pour cela que les politiques prennent leurs responsabilités dans les choix d’organisation et d’orientation des systèmes de soins. Il faut qu’ils aient le courage de définir qui a droit à l’accès aux soins en France. Il faut qu’ils aient le courage de redéfinir ce qui justifie un remboursement par la Sécurité Sociale et ce qui ne le justifie pas. Il faut qu’ils aient le courage de faire évoluer le système conventionnel afin qu’il soit équitable pour tous les soignants sans faire de distinction entre les générations. Il faut qu’ils aient le courage de mettre en place des systèmes de contrôle qui soient sous la responsabilité des soignants eux-mêmes avec des objectifs définis par les tutelles au lieu de s’orienter vers des systèmes de contrôle informatisés qui ne pourront jamais respecter l’intimité et la confidentialité des individus et qui sont de plus en plus dépendants d’une administration qui n’a pas la responsabilité du malade. Il faut qu’ils aient le courage de toucher à l’Hôpital et aux statuts des médecins hospitaliers en particulier universitaires qui bloquent complètement toute évolution.

Il faut que le monde politique évolue. Cette évolution doit se faire dans la transparence et la clarté pour tous.

Il faudrait pour cela que la Réforme qui se prépare soit clairement expliquée. Il faudrait pour cela que les lois soient simplifiées et écrites de façon compréhensible pour tous. Il faudrait que le Journal officiel publie les lois en leur entier en annulant complètement les précédentes. Il faudrait que les décrets d’application qui corrigent ces lois soient publiés régulièrement avec le texte entier au lieu de faire l’objet de corrections fragmentaires qui transforment ces textes officiels en véritables puzzles incompréhensibles. Nul n’est censé ignoré la Loi. Encore faut-il que le message qu’elle contient soit simple et clair et qu’il soit adapté à la conjoncture.

Olivier Badelon

dans « ALLO DOCTEUR, LA FRANCE EST MALADE » (2002) Chapitre 3.2 – “Considérations générales sur notre Système de Santé et de protection sociale et ses liens avec l’organisation de notre société”

Publié en grande partie dans http://www.lecercle.lesechos.fr le  17/02/2012 | Présidentielle 2012

Vous pouvez le consulter sur http://lecercle.lesechos.fr/node/43586/

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