À l’avenir, le lit d’hospitalisation ne doit plus être la variable d’ajustement de l’Hôpital qui devrait être pavillonnaire et à géométrie variable avec une organisation des flux différents pour les maladies contagieuses dangereuses.
Pour s’adapter aux contraintes des épidémies à venir qui peuvent être beaucoup plus graves, l’Hôpital moderne devrait être construit en s’inspirant du passé, avant l’apparition des antibiotiques et des vaccins, c’est-à-dire avec une structure pavillonnaire et une finalité des services d’hospitalisation adaptable selon les besoins, autour d’un plateau technique commun comprenant l’imagerie, le bloc opératoire, les urgences, avec, et c’est essentiel pour pouvoir répondre à une épidémie dangereuse, des circuits complètement séparés aussi bien pour les patients que le personnel et le matériel, sans oublier toute la plomberie et la ventilation.
L’apparition de pathologies infectieuses résistantes aux traitements connus n’est pas nouvelle, notamment la tuberculose, et la crise provoquée par le COVID-19 est un véritable coup de semonce qui doit absolument modifier notre conception de l’architecture d’un hôpital.
Si les locaux administratifs peuvent être extérieurs aux structures de soins, il est impératif que les bureaux des médecins soient intégrés, sinon à proximité immédiate, des services d’hospitalisation et de soins pour des raisons de sécurité et de convivialité.
L’idéal serait que l’Hôpital puisse s’intégrer complètement dans l’urbanisme de quartier et de région, avec une protection policière, un accès facile par les transports en commun, des parkings publics éventuellement financés par des commerces de proximité, un ou des hôtels pour les familles et les patients ayant besoin d’une surveillance quotidienne sans soins particuliers, des logements pour le personnel avec un loyer préférentiel accessible.
Enfin pour répondre aux contraintes budgétaires et aux besoins de la population, l’idéal est de construire cet hôpital du futur en banlieue ou en périphérie des villes, et de préférence au centre des voies de communications d’une région.
Cette vision de l’Hôpital du futur découle de mon expérience personnelle
Entré en politique en réaction à l’élection de François Mitterrand dont je connaissais le passé opportuniste, d’abord proche de la « Cagoule » et pétainiste, puis résistant de circonstance, arrivé au pouvoir, en vendant un « changement » avec les communistes dans ses valises diplomatiques, et à l’opposé, en réaction à l’émergence du Front National créé par Jean-Marie Le Pen qui incarnait une extrême droite réactionnaire, j’ai essayé à mon niveau de médecin de terrain de réagir, sentant bien que la phrase qui avait été peinte sur le mur de la Sorbonne en mai 19868, « il est interdit d’interdire », n’avait rien changé, précipitant notre pays dans un laxisme sournois depuis l’école jusqu’aux plus hautes sphères politiques, alors que notre pays avait surtout besoin de liberté et de responsabilité.
C’est bien cet intérêt pour la politique qui m’a poussé naturellement à intervenir au cours de ma carrière hospitalière, non pas pour faire une carrière politique, mais bien pour utiliser mon expérience de médecin de terrain pour améliorer l’Hôpital et notre système de Santé qui se dégradaient à l’évidence sous les coups de butoir des politiques influencés par les économistes admiratifs du NHS anglais.
C’est bien mon histoire personnelle, enrichie d’une expérience partagée entre une activité publique à l’Hôpital Robert Debré et une activité libérale dans des hôpitaux et des cliniques bien différentes, qui m’a permis de nourrir ma réflexion politique pour essayer d’améliorer le fonctionnement de notre système de Santé et en particulier de l’Hôpital, avec des articles et des propositions en réaction aux décisions prises par nos gouvernements successifs, en cherchant à chaque fois, à avoir une attitude critique constructive.
Je ne compte plus les courriers et les rapports envoyés à nos Ministres de tutelles ou aux Présidents de la République, et même aux élus de tous bords, aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat depuis les années 1980, sans jamais avoir eu de réponse concrète, alors que, comme certainement bien d’autres, j’ai voulu non seulement tirer la sonnette d’alarme mais aussi faire des propositions concrètes.
La mode a été de vouloir supprimer l’ENA, soit-disant responsable de nos maux, alors que c’est bien le « pantouflage » dans leurs corps d’origine et l’irresponsabilité de la haute administration qui est en cause.
Aujourd’hui, il ne faudrait pas mettre au pilori les Ministres de la Santé qui se sont succédés depuis quarante ans, ni les fonctionnaires de la haute administration, à cause des erreurs de la gestion de la crise sanitaire et sociale provoquée par la pandémie de COVID-19 . Ils sont certainement responsables mais les médecins le sont aussi, et leur part de responsabilité n’est pas moindre, en particulier tous ceux qui ont fait une carrière universitaire sans remettre le système en question, et encore plus ceux qui ont été conseillers ministériels avec de nombreuses réformes qui ont abouti à la paupérisation de notre système hospitalier et de tout notre système de soins, malgré les soubresauts des soignants hospitaliers et libéraux, en particulier récemment dans une indifférence du gouvernement qui n’a eu d’égale que les décisions quasi-totalitaires qui ont été prises ces derniers mois.
Notre système de Santé est centré sur l’Hôpital public qui représente environ la moitié de nos dépenses de santé et il fait régulièrement la une des médias, notamment alimenté par les urgentistes qui réclament toujours plus de moyens financiers, alors que 70 à 80% des consultations réclamées en urgence ne sont pas des urgences, et que ces consultations pourraient être faites à moindre coût en dehors, à condition que la médecine de ville soit revalorisée comme toute la médecine libérale et d’une façon générale tous les soignants libéraux.
Il est reconnu que le nombre de lits de soins intensifs et de réanimation était insuffisant quand la pandémie de COVID-19 s’est déclarée en France. Notre dotation était tout de même meilleure qu’en Italie mais bien moindre qu’en Allemagne et il est probable que c’est un des facteurs déterminants de la différence de mortalité dans ces pays. Le fait qu’ils soient tous les trois européens devrait permettre de les comparer de façon plus précise.
En France, les hôpitaux et tous les établissements de santé ont fait un effort fantastique pour augmenter leur capacité en quelques semaines en se heurtant avant tout à des soucis logistiques car il fallait surtout des respirateurs et du personnel soignant, et une fois de plus à la répartition des malades entre les hôpitaux publics et les établissements de soins privés, cliniques et hôpitaux qui ont été réquisitionnés par les ARS en leur demandant d’arrêter leur activité non urgente bien avant le pic de l’épidémie, et en continuant à les bloquer bien après, pendant plusieurs semaines, alors que le nombre de malades atteints nécessitant une hospitalisation avait considérablement chuté, sinon presque disparu dans plusieurs régions.
J’ai déjà voulu comparer cet aveuglement de l’administration des ARS qui a duré pendant tout le confinement et même après, avec ce qui s’est passé dans des conditions extrêmes au moment de l’attentat du Bataclan, car sans remettre en question l’action tardive des policiers et des militaires qui étaient sur place et qui ont été retenus par les ordres venant de la hiérarchie, alors qu’une grande manœuvre du SAMU parisien avait été organisée le matin même, comme par hasard, comme si les renseignements avaient prévu un attentat sans savoir comment et où il allait se produireau. C’est bien ce qu’on pourrait comparer au retard des mesures prises par notre gouvernement car il savait très tôt dès le mois de décembre que l’épidémie avait commencé en Chine.
Il est possible de dire que nous avons été trompés par les informations données par la Chine, mais il suffisait d’aller voir sur place la réalité. Il y avait suffisamment de ressortissants français sur place pour être renseignés directement, quitte à envoyer une mission sanitaire sous prétexte de les soigner sur place au lieu de les rapatrier à grands renforts médiatiques avec une quarantaine qui a été très courte et dont l’efficacité à long terme n’a pas été vérifiée par la suite, en tout cas à ma connaissance.
La comparaison peut continuer à l’étape de la prise en charge des malades du COVID-19 par rapport à celle des blessés de l’attentat du Bataclan. Les blessés survivants avaient de véritables blessures de guerre. Ils ont été transportés exclusivement vers quelques hôpitaux parisiens de l’AP-HP et les hôpitaux militaires, alors que presque tous les hôpitaux et cliniques d’Ile de France s’étaient immédiatement préparés à les recevoir, avec un arrêt spontané et immédiat d’une grève nationale très suivie des libéraux à l’annonce de l’attentat à la télévision.
Les hôpitaux militaires ont assumé avec efficacité cet afflux de blessés de guerre, par contre les urgences de l’AP-HP ont été complètement submergées, notamment celle de l’Hôpital Georges Pompidou, manquant de matériel et de personnel, obligeant un recrutement des médecins de ville du voisinage pour les aider, alors que de très nombreuses équipes chirurgicales restaient désoeuvrées en attendant devant leur télévision que les blessés arrivent.
Les quelques blessés qui sont arrivés seulement le lendemain après-midi dans les cliniques avaient des blessures modérées, avec un retard heureusement sans grande conséquence, car il faut bien rappeler que la grande majorité des victimes étaient mortes sur place dans des conditions abominables qui ont été cachées au grand public.
Toute proportion gardée, c’est exactement le même scénario qui s’est reproduit pendant le pic épidémique de COVID-19 car il a fallu attendre que les hôpitaux publics soient complètement surchargés pour que les malades soient transférés dans les cliniques et les hôpitaux du voisinage, avec un taux de remplissage relativement faible par rapport à leur capacité de soins.
Le prétexte, avancé à la télévision par le chef de service des urgences de l’Hôpital Georges Pompidou, était que « les cliniques refusaient les malades car leur personnel n’avait pas assez de moyens de protection, pas assez de masques ».
C’est le même qui avait décrit la situation catastrophique de son service lors de l’attentat du Bataclan, complètement surchargé de blessés, sans matériel stérile suffisant, fier d’avoir réquisitionné les médecins de ville pour donner les premiers soins, alors que le SAMU et les ambulances auraient pu les transporter directement dans d’autres hôpitaux et cliniques, améliorant ainsi considérablement leur pronostic. Il est vrai que ce chef de service, véritable politicien de métier, est devenu une référence à la télévision commentant tous les jours le déroulement de la pandémie, changeant d’avis d’un jour à l’autre et parfois du matin au soir, pour finir par critiquer les mesures gouvernementales en se préparant à alimenter une opposition politique complètement dépassée par les évènements.
Il ne faudrait pas se tromper dans l’organisation à venir des hôpitaux car il ne faudrait pas augmenter le nombre de lits d’hospitalisation sans discernement en continuant à construire des bâtiments « soit-disant » modernes, mais en fait à l’image de l’égo des maires et des médecins principaux qui sont plus intéressés par la taille de leur bureau et par l’esthétique du bâtiment que par le fonctionnement général de l’hôpital.
J’en suis d’autant plus inquiet que j’ai vécu à Paris la conception et la construction de l’Hôpital Robert Debré et de l’hôpital Georges Pompidou qui sont de remarquables machines à soigner mais qui cumulent à mon avis les erreurs de conception, aussi bien sur le plan architectural qu’humain.
Je me souviens très bien qu’au moment de la grippe H1N1, un hebdomadaire à grand tirage avait publié une page entière en reprenant les propos d’un Professeur des Universités du Sud de la France qui expliquait qu’il fallait augmenter le nombre de services de Maladies infectieuses et de lits d’hospitalisation.
Pour les médecins hospitaliers, le nombre de lits d’hospitalisation est encore un signe d’efficacité mais aussi de puissance dans un monde très hiérarchisé, presque féodal, où les luttes de pouvoir perdurent et même ont augmenté avec la paupérisation générale.
Pour l’administration qui gère un hôpital le nombre de lits est une variable de gestion car un lit a un coût moyen qui est décliné en fonction de la spécialité concernée, en m2, en matériel et en personnel.
Quand j’ai fait mes études de santé publique sur le fonctionnement de l’hôpital et de notre système de soins en 1990, il y a trente ans, le coût d’un lit d’hospitalisation était de un million de francs tout compris.
Le budget annuel de fonctionnement d’un établissement hospitalier représentait 30 à 50 % du budget d’investissement, et 70 % de ce budget de fonctionnement correspondait aux dépenses de personnel, dont 68% pour le personnel non médical et 14% pour le personnel médical.
La répartition des coûts n’a pas changé avec globalement une inflation du personnel administratif, alors que les progrès en gestion à tous les niveaux, notamment grâce à l’informatisation des systèmes d’information, aurait dû en diminuer la quantité.
C’est sur cette variable que les établissements privés arrivent à trouver leur équilibre en diminuant la quantité de personnel administratif et en n’ayant pas la charge salariale des médecins qui sont libéraux.
Cependant il y a des discordances qui sont difficiles à expliquer sans connaître tous les détails du budget de construction et d’investissement. En 2018, l’estimation du coût du m2 dans les établissements parisiens était de 3500 Euros dans les CHU, 2850 Euros dans les CHR et 2500 Euros dans les Cliniques. La même année, le Centre Hospitalier de Melun, en Seine et Marne, a ouvert ses portes avec une structure très originale, jumelant un hôpital public avec un budget de 200 Millions d’Euros pour 510 lits, et une clinique privé avec un budget de 62 Millions pour 734 lits et le bloc opératoire. Le coût global divisé par le nombre de lits donne un coût en euros de 390.000 euros équivalent au coût en Francs de 1990 en tenant compte de l’inflation. Par contre le ratio entre la structure publique et la structure privée est de 4,5 alors que le coût du bloc opératoire incombe seulement à la clinique privée qui loue ses salles d’opération à l’hôpital. Cela n’est pas évident à comprendre !
Les restructurations hospitalières avec la concentration des moyens s’est faite selon des critères d’efficacité avec le nombre de lits d’hospitalisation comme variable de base, en tout cas, c’est ce chiffre que l’on retrouve dans les rapports administratifs et dans les médias, chiffre qui est repris par les syndicats et retenu par la population.
Il faut reconnaître que la restructuration hospitalière au niveau régional était indispensable pour des raisons économiques mais aussi pour des raisons d’efficacité et de sécurité.
C’est bien ce que j’avais proposé dans mon rapport remis à Alain Juppé à sa demande pour la préparation de son plan sur la Santé de 1995, avec la création d’une carte personnelle de santé qui devait être utilisée seulement pour des soins gratuits dans le service public comme au Canada et qui est devenue la carte Vitale, une modification des statuts hospitalo-universitaires pour séparer le titre et la fonction en individualisant les missions de direction, de soins, d’enseignement et de recherche ce qui n’a pas été accepté car cela remettait en cause trop de privilèges, un plan « blanc » pour la coopération sanitaire vers les pays étrangers, en particulier francophones du continent africain qui a été complètement escamoté alors qu’il aurait pu aider à contrôler l’immigration et le tourisme sanitaire,…
J’ai bien reçu une lettre de remerciement pour mon rapport de Jean de Courcel, Directeur adjoint de Cabinet de Alain Juppé qui l’a transmis à Antoine Durrleman[1], conseiller pour les affaires sociales qui s’occupait de la réforme de l’Assurance Maladie, mais je n’ai jamais su s’il l’avait jeté à la poubelle, caché dans un tiroir ou lu en pompant mes idées, alors en les déformant malheureusement. En tout cas j’ai été déçu qu’il ne me convoque pas pour en discuter ce qui aurait évité bien des erreurs. Le fait qu’il est soit devenu ensuite Directeur général de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris explique peut-être cela.
C’est avec regret que j’ai vu un désintérêt complet pour la coopération internationale complètement abandonnée aux organismes humanitaires, la création d’une carte Vitale véritable chèque en blanc pour le patient, l’application d’une maitrise comptable des dépenses de santé aussi bien dans le secteur hospitalier public que libéral, la création des ARS (Agence Régionale de Santé) qui se sont révélés une caricature de l’administration excessive de la chaîne de décision avec un Directeur tout-puissant nommé par le gouvernement, véritable préfet de la Santé, courroie de transmission du pouvoir central avec essentiellement un objectif comptable à court terme, sans véritable contrôle de qualité, ayant le pouvoir de restreindre les budgets hospitaliers, d’organiser les restructurations de services, de répartir les crédits entre établissements publics et privés, organisant des réseaux de soins qui se voulaient complémentaires mais qui, en fait, ont été vécu de façon concurrentielle.
Ce super-pouvoir administratif de la direction des ARS et des hôpitaux s’est ensuite aggravé progressivement avec une mise à l’écart des médecins de terrain des organismes de décision par les lois et plans successifs (plan « Hôpital 2007 » sous Chirac, « loi HPST » de Bachelot » sous Sarkozy, loi « Touraine » sous Hollande).
Actuellement, une grande majorité des établissements existants sont relativement anciens et ils font régulièrement l’objet d’amélioration pour répondre aux nouvelles normes de sécurité, et parfois d’agrandissement à l’occasion de restructuration.
De nouveaux hôpitaux seront construits et la catastrophe sanitaire et économique du COVID-19 devrait nous faire réfléchir pour leur répartition sur le territoire et sur leur construction qui devrait répondre avant tout à des critères fonctionnels d’efficacité.
Mon propos est d’autant plus important que je remets en question l’organisation des hôpitaux modernes, ce que j’avais déjà essayé de faire quand j’étais conseiller à la Direction Générale de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, notamment avant l’ouverture de l’Hôpital Georges Pompidou qui cumulait pour moi tous les inconvénients humains et techniques qu’il fallait éviter.
Un hôpital de très grande taille avec un hall interne digne d’un immeuble commercial que l’on retrouve dans toutes les grandes villes américaines et de par le monde, et des circuits complexes pour les usagers, avec des situations conflictuelles prévisibles entre médecins du fait du regroupement de services de même spécialités venant d’hôpitaux différents. C’est bien ce qui s’est passé dans les premières années et cela perdure avec des conséquences humaines qui peuvent être dramatiques, allant jusqu’au suicide de son personnel.
Comme tous ceux de ma génération, j’ai connu les salles communes dans les hôpitaux, les visites patronales avec l’ensemble du service, l’utilisation des lits optimisée pour avoir une remplissage maximal en organisant les sorties en fonction des besoins, comme l’armée qui faisait tourner ses moteurs pour utiliser ses crédits d’essence.
Je suis passé d’hôpital en hôpital pendant mon Internat, en commençant par l’hôpital Félix Guyon à Saint Denis de la Réunion pendant mon service national comme VAT (Volontaire Aide technique) dont le bâtiment tout en longueur était aéré par des fenêtres faites avec des lames de verre en jalousie orientables, aussi bien utiles pour ventiler en position ouverte que pour résister aux grands vents des cyclones en position fermée, en passant par l’hôpital d’Argenteuil, de Saint Germain, de Bichat, de Beaujon, de Necker-Enfants Malades, avec des bâtiments vieillissants qui avaient tous besoin d’être remis aux normes ou reconstruits.
L’année passée comme assistant à l’Hôpital de la Pitié-Salpétrière m’a fait retrouver mes racines d’étudiant dans un hôpital à la fois gigantesque par sa dimension et des bâtiments compartimentés à taille humaine, avec un regroupement des services par spécialités dans des bâtiments différents, soit anciens plutôt pour la Médecine, soit récents plutôt pour les spécialités chirurgicales, l’ensemble faisant un véritable quartier hospitalier dans la ville.
La révolution pour moi a été le passage de l’ancien hôpital Bichat, où j’avais été interne, au nouveau Bichat comme chef de clinique, c’est-à-dire un chirurgien encore en formation mais participant à l’enseignement des plus jeunes et complètement responsable de son activité chirurgicale.
La structure étoilée du bâtiment du nouvel Hôpital Bichat permettait une organisation exemplaire, avec un regroupement au rez-de-chaussée des urgences, du plateau technique et des blocs opératoires, des services dans les étages avec des secteurs facilement individualisables par pathologies en isolant en particulier le risque septique et les bureaux des médecins à proximité des patients.
La conception de cet hôpital était vraiment remarquable pour les utilisateurs, depuis les parkings en sous-sol, en passant par les ascenseurs nombreux et spacieux, les trajets pour les soignants et les malades.
Les seuls inconvénients étaient à mon avis, les chemins de circulation qui revenaient tous au centre de l’hôpital aussi bien en vertical qu’en horizontal, et la fermeture complète des fenêtres avec un système de climatisation compliqué et très coûteux, car si cela permettait peut-être de chauffer plus facilement pendant l’hiver, cela obligeait à une dépense énergétique très importante pendant l’été pour refroidir car le bâtiment devenait une véritable serre. En plus les systèmes de ventilation et de plomberie ont provoqué des légionelloses évidemment dramatiques pour le fonctionnement de l’hôpital.
Les échanges organisés par la Société Française de Chirurgie orthopédique et traumatologique pour les chefs de clinique m’ont permis de faire un tour de France comme un véritable compagnon, en partant pendant 8 à 15 jours, chaque année, ce qui m’a beaucoup appris pour ma pratique et aussi dans l’organisation des hôpitaux.
J’ai été marqué lors de mon premier échange en 1982 par Jean Decoulx qui m’a montré son matériel informatique pour l’enseignement de ses étudiants et qui m’a fait visiter le nouvel hôpital qui était en construction. Il avait prévu de mettre une guérite à l’entrée des urgences pour avoir une permanence policière en raison de l’insécurité qui commençait déjà à être très inquiétante.
J’ai été aussi à Tours, à Marseille, à Montpellier et à Lyon où chacun avait ses habitudes en s’adaptant à des bâtiments anciens. J’ai été particulièrement impressionné par les équipes de Montpellier autour de Jean-Gabriel Pous et de Alain Dimeglio, et de Lyon autour de Claude-Régis Michel et de Pierre Stagnara, à la fois par l’organisation de leurs équipes qui travaillaient en complémentarité et partage, entre les hôpitaux universitaires publics et des centres de rééducation gérés par des instituts caritatifs, avec à la fois une activité de rééducation et de chirurgie. L’activité dans ces centres était impressionnante avec des précautions hygiéniques drastiques qui permettaient de faire de la chirurgie lourde sans complication infectieuse. Tout le monde devait passer à la douche dans les vestiaires avant de rentrer au bloc opératoire.
La douche pour tous les personnels du bloc opératoire, c’est aussi ce que j’ai trouvé en allant au Japon en 1983. J’ai eu l’occasion de rapatrier un blessé japonais paraplégique que j’avais opéré à l’Hôpital Bichat. Cela m’a permis de visiter l’hôpital de Fukuoka qui était très vaste avec encore des salles communes immenses. L’hygiène était une priorité et la douche était obligatoire avant de rentrer au bloc.
J’ai été tout aussi impressionné, de façon bien différente, par les trois microscopes électroniques que j’ai découverts dans une même pièce, au sein du département de rhumatologie et de chirurgie orthopédique, alors que nous en avions un seul pour toute une Faculté.
La suite de ma carrière à l’Hôpital Bretonneau qui était un hôpital pour les enfants, m’a fait revenir dans un hôpital très ancien avec des petits pavillons dédiés où chaque équipe vivait en circuit fermé, ouverte sur ses voisins quand les enfants en avaient besoin et dans les moments de vie commune en salle de garde où nous avions nos quartiers pour les plus jeunes, externes, internes et assistants. Le bloc opératoire était au rez-de-chaussée avec un agencement classique et malheureusement des toilettes à l’intérieur.
C’est à cette époque que j’ai commencé à m’intéresser vraiment au fonctionnement de l’hôpital, d’abord au sein de mon service car mon patron, Henri Bensahel, m’a très vite donné des responsabilités importantes, puis dans la préparation de l’ouverture de l’Hôpital Robert Debré grâce à André Müller, le futur directeur de cet hôpital, qui s’est entouré d’une équipe de jeunes médecins afin d’épauler les patrons dont le souci était plutôt, en tout cas pour certains, la taille de leur bureau dans le futur hôpital que l’architecture elle-même du bâtiment.
Dans l’ancien Hôpital Bretonneau, la chirurgie pédiatrique occupait un pavillon entier avec deux services séparés de chirurgie viscérale et d’orthopédie. Les bâtiments étaient très anciens, et aucun investissement était prévu en raison de la fermeture prochaine. Les moyens et l’équipe étaient réduits par contre le recrutement était très important sur tout le Nord-Ouest de Paris et de la région parisienne.
Henri Bensahel m’a donné toute sa confiance en me laissant organiser avec lui l’activité de son service et prendre la place que nous méritions dans la communauté scientifique de notre spécialité.
Dès notre première entrevue, alors que j’étais encore interne cherchant un poste à la fin de mon Internat car j’avais un « trou » de un an, j’ai pu parler avec lui en toute confiance, notamment d’un sujet qui me tenait à cœur, l’Europe politique et scientifique, en regrettant devant lui qu’il n’y ait pas encore de Société savante en Orthopédie, en particulier en Orthopédie pédiatrique comme cela existait en Amérique du Nord. Il a immédiatement réagi et réuni autour de lui des collègues européens pour créer cette société, et le pavillon chirurgical de l’Hôpital Bretonneau est maintenant célèbre, en étant le siège historique de l’European Paediatric Orthopaedic Society, avec une photographie que j’ai prise moi-même devant l’escalier de son entrée.
C’est en travaillant ainsi que nous avons pu mettre en valeur ensemble nos travaux scientifiques en Europe en Amérique du Nord.
C’est avec la même confiance qu’il m’a permis d’améliorer la prise en charge des urgences en récupérant tous les dossiers de la nuit pour être analysés lors de la réunion de service du matin avant d’aller au bloc opératoire. Il a fallu exiger du service de radiologie la possibilité de faire des radiographies de contrôle pendant les interventions aussi bien de jour que de nuit. J’ai pu aussi organiser une astreinte de micro-chirurgie et de chirurgie de la main avec la collaboration des internes qui avaient travaillé moi à l’Hôpital Bichat car aucun service comparable existait sur Paris pour les enfants. J’ai pu aussi organiser une consultation spécialisée en appareillage pour les déformations de la colonne vertébrale avec la collaboration du Dr Laburthe-Tolra qui était médecin conseil de la CPAM de Paris.
Les internes au choix qui avaient déserté le service sont revenus et nous avons pu organiser tous ensemble une formidable équipe.
À cette époque, j’avais un petit bureau dans le service d’hospitalisation et j’ai pu me rendre compte que cela pouvait vraiment être utile quand une infirmière a frappé à ma porte car un petit enfant s’était pendu entre les barreaux de son lit en voulant en sortir. Il était suspendu par la tête, tout le corps dans le vide. Il était tout gris et ne respirait plus. J’ai écarté les barreaux du lit avec une force que je ne me connaissais pas, et que je n’ai pas eu après, quand j’ai voulu essayer de nouveau. J’ai pris ce petit corps dans mes bras et je me suis précipité dans l’ascenseur qui accédait directement au bloc opératoire en dessous. Je lui ai fait du bouche à bouche pendant la descente et je l’ai confié aux anesthésistes qui l’ont réanimé heureusement sans séquelle, sauf un pneumothorax que j’avais provoqué moi-même en soufflant un peu trop fort.
J’ai bien retenu de cet incident qu’une présence médicale dans le service est certainement un facteur de sécurité aussi bien pour les malades que pour le personnel infirmier.
Un court séjour à l’Hôpital Sainte Justine, à Montréal en 1987, en marge d’un congrès de Pédiatrie où j’ai fait ma première communication en Amérique du Nord, m’a ouvert les yeux sur l’organisation médicale d’un hôpital moderne et m’a guidé ensuite dans ma réflexion.
Quand j’ai demandé à Maurice Duhaime de visiter l’hôpital et son service, il m’a expliqué avec un grand sourire que ce n’était pas son service, mais celui d’une équipe chirurgicale pluridisciplinaire. Il m’a bien dit qu’il n’était pas responsable de sa gestion quotidienne car il supervisait tout le Département de chirurgie, et que c’était un autre chirurgien, l’équivalent d’un Praticien hospitalier qui s’en occupait, à la grande satisfaction de tous car c’était une tâche très astreignante.
L’architecture était banale, un gros cube avec une organisation des services par étages, par contre il n’y avait pas de limites physiques entre les services d’un même département, et les malades à risque infectieux étaient isolés des autres dans les secteurs d’hospitalisation et dans les circuits autour du bloc opératoire, aussi bien pour le matériel que pour les personnes.
J’ai pu voir le laboratoire d’analyse du mouvement complètement intégré dans le même bâtiment sous la responsabilité d’un Professeur en charge de la Recherche, alors que c’était un autre qui était responsable de l’enseignement, toute cette organisation permettant à chacun de s’investir dans une tâche précise avec un partage des responsabilités et une évolution dans leur carrière en fonction de leur intérêt personnel, de leur compétence, et de leur capacité à mener une équipe, jusqu’à la possibilité de diriger la politique de tout l’hôpital pour les plus anciens.
C’est aussi à cette occasion que j’ai découvert l’importance que pouvait avoir le financement privé dans le fonctionnement d’un hôpital public car il pouvait attirer les donateurs petits et grands pour l’acquisition de matériel ou le financement de programmes de recherche.
C’est en revenant de ce voyage quasi initiatique que je me suis investi complètement dans l’organisation de l’ouverture de l’Hôpital Robert Debré.
Nous savions depuis longtemps que cet hôpital était en construction sous la direction d’un architecte renommé, Pierre Riboulet, qui avait gagné le concours en proposant un projet qui tenait compte de la géographie du lieu car il devait être construit sur d’anciennes carrières remplies d’eau en préservant une église qui avait été construite dans les années 1950 pour célébrer la sauvegarde de Paris à la libération et qui avait été confiée à la communauté portugaise, en plus les superstitieux pensaient que Paris serait détruite si cette église disparaissait.
Le choix de cet endroit était surprenant car cet hôpital aurait pu être construit beaucoup plus facilement à la place de l’ancien Hôpital Bichat qui était alors désaffecté avec un terrain parfaitement sain ou encore de l’Hôpital Claude Bernard qui était au bord périphérique.
D’après les rumeurs, il s’agissait d’un choix politique à la fois de l’administration centrale qui voulait éviter une concentration de personnel trop importante sur le site de Bichat, et des médecins pédiatres principaux des Hôpitaux Bretonneau et Hérold qui avaient préféré garder leur indépendance.
Il a toute de même fallu six longues années pour le construire en raison des difficultés du terrain avec des choix faits au niveau de la Direction générale sans consulter les autres chefs de service, qui étaient plus préoccupés par leur propre transfert et celui de leur équipe dans ce nouvel hôpital que par sa conception.
C’est ainsi que nous avons été consultés une année seulement avant son ouverture alors que le bâtiment était quasiment fini.
J’avais la charge de l’organisation du bloc opératoire commun et des archives médicales. J’ai pu visiter les lieux et me rendre compte des erreurs de conception qui auraient pu être évitées bien avant.
À mon petit niveau, je me suis rendu compte que rien n’avait été prévu pour la salle de garde et les chambres de repos pour les équipes médicales car elles n’avaient pas, soit-disant, besoin de se reposer. Il faut simplement rappeler qu’à cette époque les médecins travaillaient normalement le lendemain de leur nuit de garde avec souvent plusieurs nuits de suite, notamment le week-end, surtout pour les chirurgiens et les anesthésistes.
Quant au couloir circulaire d’évacuation des déchets du bloc opératoire, il était fermé par des cloisons qui heureusement n’étaient pas des murs porteurs.
Tout cela a pu être corrigé grâce à la réactivité de André Müller que j’ai emmené moi-même sur place.
Par contre il était beaucoup trop tard pour corriger des choix qui me paraissait erronés, en commençant par les ascenseurs qui desservaient le parking des visiteurs, seulement deux de petites tailles, à l’évidence trop petits, immédiatement remplis par une seule poussette ; la structure allongée du bâtiment qui rendait compliqués les déplacements des malades et des médecins, l’espace perdu dans la vaste serre en son milieu qui à l’évidence se transformerait en four pendant l’été, la séparation des blocs opératoires de la maternité et du bloc opératoire commun aux autres spécialités,….
Cet hôpital était magnifique mais il ne répondait pas pour moi aux critères idéaux d’un hôpital fonctionnel.
L’usage m’a donné raison en commençant par les ascenseurs avec des embouteillages aux heures de pointe, une exposition au Sud qui a transformé les chambres et la serre centrale en fournaise avec des températures de plus de 40°, des difficultés de circulation pour les usagers qui ont été améliorées avec le temps par une signalisation plus visible.
J’ai même été obligé pendant une tempête, alors que j’étais de garde, d’aller soutenir et renforcer un mur extérieur dans un service d’hospitalisation cat il était en train de s’effondrer sous la poussée du vent, la cloison étant trop fragile, alors que la structure courbe du mur entraînait une accélération du vent à son contact comme la voile d’un bateau.
C’est ainsi que j’ai appris que toute réparation ou changement de la structure devait passer par le cabinet d’architecture de Riboulet, ce qui continue encore actuellement même après son décès.
C’est dans la préparation de l’ouverture de l’Hôpital Robert Debré que j’ai proposé, comme je l’avais vu à Montréal, la création d’une Association pour financer des projets complémentaires en particulier celui de l’Hôtel des parents. C’est aussi à cette occasion que j’ai voulu proposer à la Direction de l’Assistance Publique la création d’une Fondation pour essayer de fidéliser les habitants à leur hôpital en leur proposant de faire des dons ciblés. L’idée a germé pour devenir la Fondation Hôpitaux de Paris dont j’ai été l’un des membres fondateurs.
C’est probablement grâce cette volonté de proposer des solutions nouvelles que j’ai été recruté par Jean de Savigny, Directeur des Affaires Médicales à la Direction générale de l’Assistance Publique, pour devenir son Conseiller en tant que Praticien hospitalier.
Je dois dire que cela a été une époque formidable pour moi car je me suis investi à fond dans ce rôle en m’intéressant à l’organisation de l’Hôpital aussi bien dans sa conception que dans son organisation sur le plan matériel et humain.
Il parait que j’étais apprécié pour mon franc parler et mon approche originale bien différente des patrons qui défilaient dans son bureau ou qui lui téléphonaient pour défendre leurs chapelles.
C’est ainsi que je me suis intéressé à l’Hôpital de jour à une époque où il commençait à peine à exister notamment à l’Hôpital Trousseau, à l’organisation des urgences qui étaient déjà embouteillées par une majorité de patients non-urgents, aux carrières des soignants en particulier des médecins, depuis le statut des étudiants et des internes afin que leur cursus soit intégré dans la carrière hospitalière, jusqu’à celui des universitaires en proposant de séparer le titre et la fonction comme je l’avais vu au Canada avec une séparation des fonctions de soins, de gestion, d’enseignement et de recherche, et une évolution des carrières possible jusqu’à la direction politique et médicale de l’Hôpital.
J’ai su que ces rapports avec mes propositions ont circulé dans les bureaux de la Direction générale mais aussi de la Tutelle, avec notamment la création des postes de Professeurs honoraires pour les plus anciens au-delà de la retraite habituelle, mais les autres n’ont pas été retenues.
J’ai su aussi que mon opinion critique vis-à-vis de la construction de l’Hôpital Robert Debré n’avait pas été apprécié par la hiérarchie médicale et les réserves que j’ai émises lors de la préparation de l’Hôpital Georges Pompidou n’ont absolument pas été prises en compte pour des raisons politiques, à la fois du pouvoir en place et par les chefs de service consultés qui devaient y être transférés.
C’est à cette époque, en 1989, que « Médecins du Monde » m’a envoyé en mission au Vietnam et au Cambodge, avec la caution de Jean de Savigny et de Henri Bensahel, pour étudier la prise en charge des enfants handicapés et choisir les structures les mieux adaptées à une collaboration humanitaire. J’étais accompagné de deux anesthésistes qui venaient enseigner l’anesthésie loco-régionale.
Le Vietnam était encore sous la chape des communistes qui détenaient le pouvoir, avec une volonté d’ouverture vers l’extérieur plus attirée par les dollars américains et australiens que par les francs de l’époque.
Les médecins utilisaient encore le matériel qui leur restait des Américains et des Russes et même des Français, notamment les appareils de stérilisation, et ils ne trouvaient pas choquant d’arrêter leur activité chirurgicale quand ces appareils tombaient en panne.
Les médecins, notamment les anesthésistes étaient obligés d’avoir un deuxième métier pour nourrir leur famille (réparateur de vélos, serveur dans un restaurant,…).
À côté de cela, il était évident que le Vietnam était en train de se réveiller et que les jeunes n’attendaient que le départ des anciens pour sortir du communisme.
Les hôpitaux que j’ai pu visiter étaient bien différents, avec des difficultés de fonctionnement dans les hôpitaux modernes construits par les Américains et les Russes, alors que l’Hôpital Grall qui était beaucoup plus ancien, construit par l’armée coloniale française en pavillons séparés avec des éléments métalliques conçus et fabriqués par Gustave Eiffel, était mieux adapté aux conditions locales notamment climatiques et au traitement des maladies infectieuses à une époque où les antibiotiques n’existaient pas.
Il me paraissait évident qu’il fallait nous investir dans cet hôpital, à la fois pour des raisons structurelles et historiques, car la France était encore présente, jusqu’à la stèle qui avait été préservée dans le jardin, représentant Charles Grall, le médecin militaire qui avait été directeur dans les années 1920.
Le Cambodge a été une autre émotion car il venait tout juste d’être libéré du joug des révolutionnaires communistes qui avaient massacré une grande partie de la population.
Pnom Penh avait été vidée de sa substance et ses rues étaient vides. Il était impossible de s’éloigner loin de la ville et il fallait y revenir avant le coucher du soleil car les « Rouges » étaient encore maîtres de la montagne et descendaient le soir pour se ravitailler chez les paysans. La campagne était très calme mais les mitraillettes qui étaient cachées dans le coffre de la voiture mettaient de l’ambiance.
Les pavillons blancs de l’Hôpital construit par les russes étaient entièrement vides, noyés par le souvenir des atrocités perpétrées par les sbires de Pol Pott dans un silence assourdissant.
À l’opposé l’Hôpital Calmette, frère jumeau de l’Hôpital Grall, était un havre de paix avec ses pavillons ouverts où le souvenir de la France était encore un réconfort pour tout le monde.
C’est avec la certitude qu’il fallait investir tous nos moyens dans les anciens hôpitaux coloniaux français que je suis revenu à Paris avec un rapport qui malheureusement a été complètement rejeté par la direction de Médecins du Monde car il n’était pas assez politique.
En tout cas ma participation s’est arrêtée là, d’autant que mon fils aîné de sept ans m’a dit que les petits vietnamiens étaient malades mais qu’ils avaient leur « Papa à la maison ». Il est vrai que j’étais déjà de garde trois à quatre nuits par semaine et que je voyais mes enfants, seulement les dimanches de libre et pendant mes vacances.
Il se trouve que j’avais tout de même raison, ce dont je n’avais jamais douté, car j’ai été contacté peu de temps après pour superviser le réfection du pavillon de chirurgie de l’hôpital Grall avec Architectes sans frontières car Bernard Kouchner était passé par là, et il avait fait la même conclusion que moi en voyant les constructions d’Eiffel qui tombaient en ruines, peut-être l’attention attirée par mon rapport que je lui avais transmis.
En tout cas les associations humanitaires se sont toutes investies dans ces deux hôpitaux dans les années qui ont suivies,
Les premières années à l’Hôpital Robert Debré ont été passionnantes car j’ai vraiment pu réaliser des projets concrets aussi bien dans mon service que dans le reste de l’Hôpital.
J’avais supervisé l’organisation des archives avant l’ouverture et la tâche qui restait à faire, c’était surtout la gestion du dossier médical que je voulais conserver sous une forme classique mais mieux organisée, tout en préparant le dossier médical informatisé qui était encore une utopie, mais qu’il fallait préparer.
Je pensais à l’époque qu’il fallait absolument garder les deux de façon complémentaire comme je l’avais vu faire à l’Hôpital Sainte Justine
C’était une vision bien différente de celle de l’administration qui voulait faire disparaître le dossier « papier » en le remplaçant par un seul dossier informatisé.
C’est probablement pour cette raison que la responsabilité de cette organisation m’a été enlevée assez rapidement pour la confier à Marc Brodin qui était Professeur de Santé Publique .
J’ai tout de même eu le temps de défendre le dossier commun avec un dossier minimum qui devait regrouper les éléments essentiels à la prise en charge et que je voulais mettre sur un dossier archivé qui pourrait être confié au patient.
Par ailleurs, j’ai pu organiser le bloc opératoire pendant trois années, avec un staff d’organisation hebdomadaire du programme avec le responsable de l’anesthésie et la surveillante, en tenant compte des spécialités, de l’importance des interventions, du risque septique.
J’ai eu du mal à imposer et à conserver la séparation des malades septiques des autres, aussi bien dans le choix des salles que dans les circuits du matériel et des patients, car pour des raisons de rentabilité par rapport au déficit chronique en personnel, les cadres infirmiers voulaient concentrer l’activité en fermant les salles moins fréquentées, sous prétexte qu’il était possible avec les moyens « modernes » de nettoyage et de stérilisation de changer cette habitude de séparation en permettant une programmation des malades à risque septique au milieu des autres.
Il fallait donner la priorité à l’organisation des interventions selon les spécialités et leur gravité ce qui pouvait déranger certaines habitudes. J’ai rapidement été confronté à des refus et à des brimades plus ou moins explicites de chefs de service que je dérangeais, et qui ne se gênaient pas pour me faire sentir que je n’étais qu’un simple Praticien hospitalier.
Le suicide d’une jeune aide-soignante peu de temps après le refus de la Direction de la titulariser, alors que je l’avais proposé avec peut-être trop d’enthousiasme et de certitude car je ne m’étais pas rendu compte de sa fragilité, m’a fait démissionner de ce poste d’autant que j’avais moi-même d’autres soucis avec ma hiérarchie, coincé entre une administration et des patrons défendant leur propre activité.
J’ai préféré consacrer tout mon temps et mon énergie à mes patients qui étaient de plus en plus nombreux, à mes travaux cliniques car je publiais beaucoup, étant à la fois membre de la Société Nord-américaine (POSNA) et européenne (EPOS) de ma spécialité, et la préparation d’un Diplôme d’Étude Approfondie (DEA) indispensable pour espérer concourir à une carrière universitaire.
Ne voulant pas perdre mon temps dans un laboratoire car j’avais une pratique clinique déjà très importante qui m’était indispensable, j’ai préféré le faire à temps partiel en Santé publique en presque trois ans, sur les Systèmes de Soins hospitaliers et Société à la Faculté St Louis-Lariboisière, avec la soutenance d’un mémoire en octobre 1993 sur l’Analyse des motivations et des attentes du personnel infirmier de salle d’opération dans un Bloc opératoire commun de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.
Pour ce travail qui a été passionnant j’ai fait une étude comparative entre le bloc opératoire commun de l’Hôpital Robert Debré et le bloc opératoire de l’Hôpital d’Argenteuil. Les résultats ont été les mêmes, les attentes étaient dans l’ordre de préférence une reconnaissance par les médecins, en particulier par les chirurgiens, ne serait-ce que par des marques de politesse, une possibilité d’avoir une formation avec une promotion interne dans leur métier, avec à la clé une récompense salariale de l’investissement personnel.
Le temps de travail n’était pas un sujet, pourtant c’est bien les « 35 heures » qui ont été imposées au personnel hospitalier à cette époque, sous prétexte d’augmenter les possibilités d’emploi, ce qui était d’autant plus stupide à l’hôpital que les écoles avaient été fermées et qu’il n’y avaient personne à embaucher pour combler le manque de personnel, d’où des contraintes de gestion des ressources humaines dont l’Hôpital ne s’est jamais relevé, avec en plus des rancoeurs irrécupérables à cause des primes qui n’ont jamais été respectées.
Mon activité publique étant bridée par l’organisation du service, car il m’avait été interdit d’avoir plus de deux demi-journées de consultation par semaine, j’ai décidé d’ouvrir une consultation privée, ce qui m’a permis à la fois de doubler mon recrutement personnel et d’améliorer de façon conséquente ma rémunération, ce dont j’avais bien besoin avec une famille et trois enfants qu’il fallait loger correctement, mais aussi pour financer complètement une secrétaire personnelle pour mon activité publique car elle m’était refusée.
Étant bloqué par ma hiérarchie, j’ai cherché à créer un service et même, après plusieurs années de prospective un hôpital dans le Nord et le Nord-Ouest de la région parisienne qui était particulièrement démunie, ce qui n’aurait pas nui au recrutement de l’Hôpital Robert Debré, bien au contraire car je pensais plutôt à une structure complémentaire traitant les pathologies courantes.
Avec cet objectif, j’ai ouvert une consultation à l’Hôpital Jean Verdier dans un service déjà existant mais je me suis vite rendu compte que certains médecins me voyait arriver avec inquiétude craignant pour leur pouvoir personnel.
Par la suite, je me suis intéressé à l’Hôpital Louis Mourier puis à l’Hôpital de Neuilly avec à chaque fois des premiers contacts prometteurs car je pouvais répondre à une demande locale évidente, pourtant cela s’est conclu à chaque fois de façon négative comme si je dérangeais, peut être localement, en tout cas à l’Hôpital Robert Debré, comme si je pouvais leur faire concurrence.
Devant cette opposition, j’ai élargi ma réflexion car il y avait un manque évident dans le Nord-Ouest de Paris et j’ai fait des démarches auprès du Conseil Général des Hauts de Seine en 1992, puis de la Présidence de la République en 1996, avec des contacts très positifs notamment auprès de Éric Raoult qui était devenu Ministre de la Ville et à l’Intégration car mon projet concernait sa circonscription.
Ce projet a été interrompu comme la carrière de ce Ministre et je suis passé à autre chose.
Je leur avais proposé pourtant de construire un hôpital qui aurait été bien utile en ce moment et dont il faudrait s’inspirer à l’avenir : un hôpital généraliste qui fonctionnerait en réseau avec les hôpitaux parisiens et qui serait intégré à la vie de la cité, de préférence à côté d’un carrefour routier et ferroviaire, avec un parking et des commerces en sous-sol, des chapelles pour toutes les confessions, une antenne de commissariat de police et de pompiers, des bâtiments pavillonnaires, avec des flux séparés pour les entrées et sorties, les installations de plomberie et de climatisation, en particulier pour les pathologies infectieuses contagieuses, en s’inspirant de ce que j’avais retenu dans les anciens hôpitaux aussi bien en France qu’au Vietnam et au Cambodge, avec un plateau technique polyvalent autour des blocs opératoires et des services d’imagerie et des laboratoires.
C’est à cette époque qu’un chasseur de tête qui cherchait un Directeur des Affaires médicales pour l’Hôpital Américain de Paris m’a contacté car il savait que je m’intéressais tout particulièrement au fonctionnement de l’Hôpital en plus de ma pratique de chirurgien.
Son projet était intéressant mais j’ai rapidement compris que je serais obligé d’abandonner ma pratique clinique ce qui était inconcevable pour moi, par contre cela m’a donné l’occasion de réfléchir à ma carrière qui était compromise à l’Hôpital Robert Debré car mon activité dérangeait et je n’avais pas les moyens espérés, ne serait-ce que pour soigner comme je l’entendais, ce qui était pour moi plus important qu’une promotion pourtant largement méritée par mes titres et travaux.
En plus, je m’étais rendu compte qu’il n’était pas simple d’avoir une activité privée au sein d’un hôpital public. Je prenais garde à ne pas faire de dichotomie et je traitais tous les enfants de la même façon, c’est-à-dire moi-même sans faire de différence, en participant à l’enseignement des plus jeunes par l’exemple, mais je n’avais pas les moyens à la hauteur de ma clientèle.
J’ai donc décidé en 1996 de faire transformer mon poste de Praticien hospitalier temps plein en temps partiel pour partager mon temps entre l’Hôpital Public car je tenais absolument à continuer cette activité qui était ma vocation première, et une activité libérale en m’installant dans un premier temps chez un ami pédiatre pour consulter avec une activité chirurgicale à l’Hôpital Américain de Paris et à la Clinique Nollet, puis à sa fermeture, à la Clinique La Montagne à Courbevoie.
Il s’agissait à chaque fois d’une création d’activité et je me suis adapté à chaque fois à l’organisation existante, en participant tout de même dès l’an 2000 à la création d’une unité autonome de consultation et d’urgence en pédiatrie médicale et chirurgicale au sein de l’Hôpital Américain de Paris, unité qui est devenue très vite un centre de consultation de référence très important.
Les vingt années qui ont suivies n’ont pas été une éclipse dans ma réflexion sur l’organisation de l’Hôpital car j’ai continué à réagir à l’actualité en particulier dans le domaine de la Santé avec une courte expérience de secrétaire dans le Syndicat de ma spécialité et en essayant de partager mes idées sur le plan politique, sans succès, probablement parce que je n’avais pas le temps de vraiment m’y consacrer et surtout parce que, partout, mes idées n’intéressaient personne ou dérangeaient, ce qui revient au même.
Cela ne m’a pas empêché de réfléchir à l’Hôpital du futur que je rêve de voir construire un jour et au système de soins que je suis prêt à organiser si l’occasion se présente.
Texte écrit pendant le confinement qui méritera d’être complété quand j’aurai un peu de temps.
Docteur Olivier Badelon – Le 1er Mai 2020
[1] Antoine Durrleman – En 1986, il entre au cabinet du premier ministre Jacques Chirac. Il occupe des fonctions de délégué aux affaires sanitaires et sociales de la Ville de Paris (1991-1995), puis devient conseiller pour les affaires sociales du premier ministre Alain Juppé (1995-1997), où il s’occupe de la réforme de l’assurance-maladie. De 1997 à 2002, il est directeur général de l’AH-HP. Sa principale action dans ce poste a été de développer les hôpitaux de banlieue.
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