Maître Olivier BERNHEIM, Avocat au Barreau de Paris
Le 12 Juin 2020
La mort de George FLOYD, le 25 mai 2020, étouffé pendant 8 mn 46 s. sous le genou d’un policier de MINNEAPOLIS, a provoqué, comme le battement d’aile du papillon, une onde de choc mondiale : les images de cette agonie horrible, filmée, qui montrent trois policiers impassibles devant une réalité qu’ils conduisaient, ont fait le tour du monde.
Le mérite d’Internet, qui est aussi sa limite, est de permettre cette diffusion planétaire immédiate, en répandant comme traînée de poudre, en temps réel, la tempête de l’émotion, qui peut se trouver prise en otage par une fausse nouvelle, et piégée.
Comme l’on aurait aimé que ces 8 mn 46 s. soient un faux !
Partout, des manifestations ont marqué la réprobation et la condamnation du racisme sournois qui sous- tendait l’acte.
Elles auraient gagné à rester pacifiques, non pour plaire à Donald TRUMP, mais parce que le noble combat contre le racisme ne mérite pas ce dévoiement par la violence pillarde.
Et l’emballement a suivi : statues taguées, mutilées, déboulonnées, d’hommes célèbres commémorés mais qui véhiculaient, à leur époque, ou avaient proféré, des propos ou comportements racistes. Les détruire, les démolir, au nom d’un lavage mental, moral et politique, redresseur de leurs torts les effacerait miraculeusement. Au nom de leurs crimes, et en vertu de souffrances actualisées, reconstruites, transposées à retardement, la vague revancharde revendique de faire disparaître ces traces offensantes restées du passé.
Les voix s’ajoutent aux actes destructeurs pour faire partout effacer le passé.
Non pas en faire table rase. Les effacer.
Peu importe que ces hommes illustres aient fait des choses un peu exceptionnelles : l’émotion moderne indignée, qui ne tolère rien qui contredise la bien-pensance, commanderait de ne retenir que certains propos ou actes plus ou moins isolés, évidemment sans tenir aucun compte des contextes de ces époques, de l’évolution de l’histoire, ni de ce que ces hommes ont par ailleurs pu faire.
S’opposer à la légitimité d’un tel mouvement n’est pas politiquement correct : la terreur totalitaire des bonnes consciences d’aujourd’hui interdit de ne pas se soumettre au diktat de ces insatiables assoiffés d’égalité.
Les ayatollahs, que ce soit de l’antiracisme, de l’écologie, de la défense animale, ou autres, doivent, sans critique, pouvoir imposer leur nouvel impérialisme. Leur messe est dite, que tous doivent entonner.
Au nom de la légitimité du combat règne l’exonération des règles. La noblesse de « la cause » justifie toutes les exactions, puisque si juste est l’idée, pour ne pas dire l’idéologie.
Sauf qu’effacer le passé, c’est tourner le dos à l’avenir.
Effacer les traces du passé est l’efficace ressort du négationnisme. Les enfants ne sont pas responsables des actes de leurs grands-parents, ni au-delà d’eux. La culpabilisation en différé, à retardement, véhicule un refus peu responsable d’un passé que l’on n’a pas à assumer. Il est ce qu’il a été. C’est précisément en en reconnaissant l’obsolescence que l’évolution acquiert sa force. L’identification du passé, la conscience de ce qui a été, la condamnation de ce qui ne doit plus être, sont la richesse du progrès et la garantie que cela ne se reproduise plus.
Effacer le passé crée une amnésie artificielle collective imposée qui lui permet, à terme, l’oubli ayant fait son œuvre, de ressurgir. C’est précisément ce qu’il faut s’appliquer à éviter. L’oubli des enseignements de l’Histoire est mortifère pour les civilisations, construction d’une longue chaîne. En couper un maillon rompt l’évolution.
Briser les fers et effacer leurs traces n’est pas synonyme.
Au nom de quelques écarts, l’on doit se garder de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Le réflexe de ces coupeurs de têtes de statues n’a aucune parenté avec la réflexion. Cette émotion sur-jouée par hystérie suscitée est une offense à toute pensée construite.
Plus que jamais, et plus encore Internet démultipliant, l’émotion reste mauvaise conseillère.
Olivier BERNHEIM 12 juin 2020
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