Olivier Bernheim – Avocat au Barreau de Paris – 1er Septembre 2021
Le départ, annoncé et programmé, des Américains de KABOUL a-t-il signé une défaite de l’Occident ?
Les Talibans n’ont pas attendu que la place soit libre pour l’occuper. Et la célébration bruyante de leur victoire masque une réalité que nos esprits naïfs veulent, une fois de plus, ne pas voir.
En premier lieu, les ETATS-UNIS n’ont pas envahi l’AFGHANISTAN par pur souci de promotion de la démocratie : ce n’était en aucun cas le but. C’était en représailles des attentats du 11 septembre 2001 et du refus des AFGHANS de leur livrer BEN LADEN, qu’ils abritaient : donc un acte de guerre, un peu proche d’une bonne vieille opération de type colonial, avec envoi de la canonnière, en version US moderne, qui répondait à un acte de guerre.
Les temps ont changé : un peu comme les RUSSES avant eux, ils se sont cassé les dents.
Au moins, les RUSSES avaient-ils un vrai objectif politique : voler au secours du régime communiste afghan. Les AMERICAINS n’avaient ni stratégie, ni objectif, juste la volonté de punir le refus de livrer le responsable des attentats du 11 septembre. Cela aurait pu, ou dû, être une forme d’opération de police : elle a duré 20 ans.
Les milliards déversés, les matériels livrés et les hommes déployés ont permis en apparence de chasser les Talibans, qui se sont en partie retirés, un peu comme les RUSSES devant NAPOLEON, et ils sont revenus lorsque la vague s’est retirée.
Mais ces 20 ans d’une forme de liberté semblent n’avoir pas suffi à conduire les AFGHANS à se mobiliser contre le retour des TALIBANS. Une résistance s’organisera-t-elle ? Il est encore un peu tôt pour le savoir.
La vraie leçon est ailleurs : la démocratie n’est pas un produit d’exportation. Le concept, né en Occident, il y a quelques années, dans la GRECE antique, ne peut se plaquer universellement : il s’est perfectionné, développé, non sans soubresauts, avec l’évolution d’une culture et d’une philosophie qui, pour se vouloir universelles, restent au niveau d’un rêve inachevé.
A l’inverse de ce que nous pouvons croire, la démocratie ne suscite pas l’irrépressible attrait dont les peuples libres la parent. La mariée nous parait si naturellement belle et attractive qu’il ne serait nul besoin de l’habiller : tous se rallieraient à son beau panache blanc. « C’est un peu court, jeune homme », aurait dit Cyrano.
La démocratie c’est une alchimie très complexe, formidablement volatile, faite d’un mélange instable d’éducation, de culture, de philosophie, de discipline, de conquête fragile de chaque jour, toujours menacée, jamais parfaite, en recherche permanente de son équilibre précaire. Un bien précaire, variable, mais précieux pour ceux qui le goûtent, un air irremplaçable pour ceux qui le respirent, et ne sont pas toujours conscients de leur privilège, de surcroît menacé par des votes libres eux-mêmes, capables de se fourvoyer.
Sans en avoir les signes apparents, elle reste un état hautement périssable.
En ce premier quart finissant du XXIème siècle, la démocratie reste ainsi un système minoritaire dans le monde, et qui ne tend toujours pas à s’étendre à la vitesse de l’éclair. Chaque jour en apporte une trop éclatante démonstration, de MOSCOU à PEKIN, en passant par l’AFRIQUE, et tant de pays d’AMERIQUE DU SUD.
Traditions ancestrales, manque d’éducation, tribalisme, clanisme, corruption, violence, terreur interne, faiblesse de l’Etat, rejet et méfiance de l’Etat, sont les mamelles de la tyrannie régnante qui asservit les peuples, et conduit les individus les plus récalcitrants à renoncer à se battre localement, pour voter avec leurs pieds : une liberté idéalisée peut les conduire à risquer leur vie dans la fuite plutôt que dans le combat intérieur.
Vider un pays d’une partie de ses élites augure mal de la défaite rapide du totalitarisme, taliban ou autre. Le combattre avec de bons sentiments revient à plaquer de la bien-pensance sur de la gangrène. Devinez qui gagne ?
Comme l’avait écrit BEN LADEN, même si le concept parait contestable à nos esprits cartésiens, la « nation musulmane », avec son « projet islamique », reste assez imperméable à l’idée de démocratie.
L’échec des « printemps arabes » en a plus récemment tristement donné une confirmation.
Le devoir d’intervention, celui d’ingérence, merveilleux concept d’un luxe passé, légèrement teinté quand même d’un soupçon de colonialisme, suscite la nostalgie d’un inaccessible rêve. De même que l’on ne peut accueillir toute la misère du monde, l’on ne peut exporter la démocratie par la force.
La démonstration a été donnée de multiples fois que, de l’extérieur, imposer la démocratie est impossible. Même au nom du bien public, d’un universalisme encore en devenir, ou de l’idéal humaniste. La démocratie ne s’impose pas contre un peuple qui ne la revendique pas, et n’est pas prêt à se battre pour elle, à mourir s’il le faut. Si l’élan intérieur manque, si le maintien des plus démunis dans la dépendance réussit à perdurer, même par la force, le désespoir, ou la terreur, si la volonté du peuple ne submerge pas la clique profiteuse, la voie reste libre pour la tyrannie et ses dévoiements.
Petite musique intérieure pour initiés, la démocratie se joue à huis clos tant les barrières sont hautes, qui limitent son expansion. Dans tant de pays, le joug est si lourd, si profondément ancré, que le secouer relève d’une mission impossible.
Défendre la démocratie, en interne, est un combat quotidien, et sa protection d’agressions externes exige de lourds investissements.
Ainsi, la démocratie n’est toujours pas un produit d’exportation. La force extérieure n’est pas le meilleur argument pour l’implanter.
Ni l’Occident, ni les ETATS-UNIS, ne sont plus, l’ont-ils jamais été vraiment, les gendarmes du monde, et l’ONU pas vraiment davantage. Mais la capacité de défense des démocraties doit rester intacte pour offrir une protection contre les ennemis de la démocratie : ils ne désarment pas, au contraire.
Ils existent et, pire, ils se portent bien.
Leur menace est moins illusoire qu’elle ne l’a jamais été : si elle n’a pas [encore ?] de pays, sa réalité protéiforme est identifiée. L’une d’elles, l’islamisme, authentique totalitarisme du XXIème siècle, par sa visée politique, qui revendique une « nation musulmane », a des prétentions dominatrices sur le monde. D’abord pour le libérer de la liberté.
Ce n’est ni l’amour de la démocratie, ni celui de l’Homme qui le meut.
Aujourd’hui, la CHINE s’aventure à tenter de démontrer, hors d’une religion autre que celle du parti communiste chinois, que l’on peut conjuguer efficacement le développement sans la liberté. La martingale politique qui permet encore au régime de contrôler tout – mais pour combien de temps ? – correspond à un état séculaire d’autorité imposée, et acceptée, au besoin, terreur aidant. Cela pourra-t-il durer ? Et le nombre n’impose-t-il pas cette féroce discipline, précisément pour maîtriser le développement ?
La CHINE réussira-t-elle à réaliser cette quadrature du cercle, et continuera-t-elle de se tenir éloignée de la démocratie ?
Même si la conjugaison est plaisante à d’aucuns, l’on ne saurait accepter de lier indissolublement développement et démocratie.
Le triste épisode afghan des AMERICAINS, trop prévisible, nous donne une leçon appliquée de ratage moderne de politique extérieure, qui impose la modestie démocratique.
Mais ne doit pas endormir la vigilance des peuples libres, plus menacés que jamais par le cancer islamique.
Olivier BERNHEIM
1er septembre 2021
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