Résumé
La Convention des Droits de l’Enfant a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 Novembre 1989. Elle est contraignante sur le plan du droit. La législation française a l’obligation de la respecter. L’auteur fait un rappel de l’historique et de la finalité de cette convention, ainsi que des articles qui intéressent directement l’organisation de la Santé en France. Il fait part ensuite de ses réflexions pour l’avenir de l’hôpital et de la pédiatrie.
Introduction
La réglementation de l’organisation des soins en France est trop rigide et inadaptée pour les adolescents depuis longtemps. J’ai été confronté à cette évidence dès 1981 quand j’ai commencé à prendre des gardes de chirurgie pédiatrique à l’hôpital Bretonneau, dans le XVIIIème arrondissement de Paris. La limite d’âge de 15 ans et 3 mois des hôpitaux pédiatriques était un obstacle à la prise en charge des adolescents encore en croissance, surtout en urgence. Elle l’était également dans l’autre sens pour les mineurs de moins de 15 ans, délinquants et violents, dangereux pour leur entourage, car aucune structure n’était prévue ou adaptée pour eux. J’en avais alerté la Direction de l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris car la seule solution proposée était de les hospitaliser en milieu psychiatrique en les déclarant « dangereux pour eux-mêmes et pour les autres », ce qui paraissait tout à fait excessif d’autant que cette étiquette était presque irréversible.
Ces premiers contacts et mon intérêt pour l’avenir de l’hôpital m’ont amené à devenir plus tard conseiller auprès de la Direction des Affaires médicales de l’Assistance Publique–Hôpitaux de Paris. C’est à ce titre que je me suis intéressé à la préparation de la Convention des droits de l’enfant dont l’UNICEF faisait la promotion avec une documentation détaillée qui m’a servi pour rédiger en 1988, à la veille de l’ouverture de l’hôpital Robert Debré dans le XIXème arrondissement de Paris, un rapport destiné à alerter les autorités hospitalières, médicales et administratives, ainsi que le ministère de tutelle.
La Convention des Droits de l’Enfant était une occasion pour faire évoluer la législation hospitalière française et promouvoir la pédiatrie médicale et chirurgicale car l’ensemble des textes de lois et des réglementations concernant l’enfant devait à priori être mis en conformité avec ce droit international obligataire.
Leurs réactions ont été d’une part une certaine indifférence considérant que la société française était au-dessus de ces préoccupations, et d’autre part une crainte de créer des conflits d’intérêts pour la prise en charge des adolescents qui ne représentaient pas un potentiel de recrutement intéressant pour la Pédiatrie.
Ce rapport est toujours d’actualité car rien n’a changé. Presque dix ans ans après la signature de cette Convention des droits de l’enfant, son article premier n’est toujours pas respecté par l’État français puisque la limite de 15 ans et trois mois est toujours en vigueur. Par ailleurs, la Pédiatrie et la Chirurgie pédiatrique sont directement menacées par les choix politiques de nos gouvernants, aussi bien à l’hôpital qu’en dehors.
À une époque où les Pédiatres et les Chirurgiens pédiatres réfléchissent sur l’avenir de leur profession, il faut absolument connaître cette Convention des droits de l’enfant et la faire respecter, notamment dans l’organisation des soins en France et en Europe. C’est l’objet de cet article d’information et de réflexion.
Historique
C’est la Déclaration de Genève de 1924 qui a fait la première formulation des droits de l’enfant sur le plan international. Ce texte a servi de base à la Déclaration des Droits de l’Enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1959. Ces droits ont été revus depuis 1979 par une groupe de travail de la Commission des Nations Unies pour les Droits de l’Homme qui a rédigé un projet de convention ratifié en 1988. Le texte complet a ensuite été soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies pour être adopté en 1989. La France et les autres pays ont signé cette Convention.
Finalité
L’objectif de la Déclaration des droits de l’enfant de 1959 était de tenir compte des besoins particuliers des enfants en tant qu’êtres humains particulièrement vulnérables et essentiellement dépendants.
Les droits de l’enfant forment une partie intégrante des droits de l’Homme. Ils peuvent également être classés en plusieurs catégories : droits civils, économiques, sociaux et culturels, à la réserve près qu’ils ne comprennent pas en principe de droits politiques. Les droits sociaux comprennent notamment le droit de recevoir des soins médicaux.
Cette convention constitue une liste la plus exhaustive possible de ces droits tels que les envisage la communauté internationale. Elle fixe une limite d’âge supérieure à l’enfance tout en autorisant des exceptions lorsque l’âge de la majorité est inférieur dans un pays donné. Elle ne rentre pas dans les détails de l’éducation qui doit être fourni par les parents, mais elle précise que l’enfant a le droit aux soins et à la protection de la famille et de l’État, et elle définit les domaines dans lesquels ces soins et cette protection doivent être donnés.
Quel que soit le pays ou la communauté, les réactions sont les mêmes lorsque les enfants sont torturés, séparés de leur famille sans motif, privés de nutrition ou de soins médicaux appropriés, dépourvus d’une éducation de base essentielle pour leur existence future, rendus infirmes à vie par l’exploitation, ou tués dans des conflits armés.
Quelles que soient les différences culturelles, idéologiques et économiques, les droits de l’enfant sont fondamentalement partagés par tous les peuples. Les manières de les réaliser peuvent différer et les priorités peuvent varier selon le moment et le lieu, mais ces droits demeurent des conditions indivisibles et indispensables pour un développement complet et harmonieux de l’enfant.
Cette convention inscrit de façon claire et ferme les droits de l’enfant à sa place réelle, non pas en opposition ou en conflit avec les droits des adultes, mais au sein du droit international relatifs aux droits de l’Homme, dont ils forment une composante intégrale et nécessaire.
Application
Il faut rappeler que les déclarations formulent des principes généraux qui sont acceptés par les gouvernements signataires mais qui ne comportent pas d’obligations spécifiques. En tant que textes internationaux, les déclarations représentent un droit non contraignant.
Par contre, les Conventions sont contraignantes et exigent une décision effective de la part des États pour y adhérer ou les ratifier. Ces « États parties » à une Convention expriment ainsi leur intention d’observer les dispositions et obligations qu’elle contient, avec pour corollaire un mécanisme de contrôle qui est habituellement institué comme partie intégrante de la convention.
Jusqu’en 1989, l’ensemble des droits de l’enfant n’avait donné lieu qu’à des déclarations. Il n’existait pas encore d’instrument international contraignant établissant les obligations des États à l’égard des enfants.
La Convention sur les Droits de l’Enfant qui a été ratifié par les Nations Unies en 1989 a mis en place cette législation contraignante et la législation française devrait en tenir compte. Cela engage aussi bien les autorités administratives que les responsables politiques qui devraient respecter ce droit international dans la mise en conformité des textes et règlements existants et dans la proposition de nouveaux textes de loi.
EXTRAITS DE LA CONVENTION SUR LES DROITS DE L’ENFANT
PRÉAMBULE
….. sont convenus de ce qui suit :
Article premier : Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain jusqu’à l’âge de dix-huit ans, sauf s’il devient majeur conformément à la législation en vigueur dans son pays.
Article 3 : 3.1- Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux ou des autorités administratives, l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération essentielle.
Article 5 : Les États parties à la présente Convention s’engagent à prendre toutes les mesures administratives et législatives appropriées, compte tenu des ressources dont ils disposent ….
Article 5 bis : Les États parties à la présente Convention respectent les responsabilités, droits et devoirs des parents et, le cas échéant des tuteurs ou autres responsables légaux de l’enfant, d’orienter et de guider celui-ci……
DISCUSSION
Conséquences pour l’hôpital
Actuellement, l’âge limite entre les structures d’hospitalisation pédiatrique et adulte est toujours de 15 ans et 3 mois dans les CHU et CHR français. Les responsables qui pensent que la France peut faire exception se fourvoient complètement, car même s’ils ont des raisons valables pour conserver cette réglementation, elle n’est pas conforme à l’article premier de la Convention des droits de l’enfant. Elle est « hors-la-loi ». Il convient de la modifier ou de la supprimer d’autant qu’elle est devenue de fait obsolète.
Dans une période où les revendications juridiques sont de plus en plus fréquentes, les dirigeants de notre pays et les directeurs d’établissement engagent leur responsabilité en limitant l’accès des hôpitaux pédiatriques aux adolescents.
Il est tout à fait possible d’imaginer qu’un adolescent hospitalisé en urgence dans un hôpital d’adulte pour une fracture-décollement épiphysaire de la cheville et traité de façon incorrecte par un chirurgien n’ayant pas l’expérience des lésions du cartilage de croissance puisse se retourner vers le Ministre de tutelle en exercice et la hiérarchie hospitalière administrative et médicale. La responsabilité du chirurgien ne pourrait être que partielle et probablement exclue s’il a été obligé d’intervenir sur ce patient pour des raisons administratives.
Cet exemple qui se veut volontairement polémique n’est pas anodin car les exemples cliniques abondent.
Il est évident que les adolescents ont besoin d’une prise en charge médicale spécifique. Ils sont souvent encore en pleine phase de croissance à l’âge de 15 ans, aussi bien sur le plan anatomique, que physiologique et psychologique. Ce d’autant que l’évolution des mœurs a encore reculé l’âge de la maturité.
Les progrès thérapeutiques et l’évolution des pathologies chroniques ont fait apparaître de plus en plus un besoin de surveillance et de prise en charge des adolescents qui sont difficile à abandonner à d’autres structures faites pour des adultes, même les plus compétentes, que ce soit pour le diabète, l’insuffisance rénale, la mucoviscidose, les malformations congénitales, les maladies neurologiques, les déformations et dysplasies ostéoarticulaires, etc. .
À l’opposé, l’aggravation de la violence et de la délinquance chez les très jeunes adolescents, vient compliquer de plus en plus leur prise en charge hospitalière. Il n’est pas question de les placer d’office dans une structure psychiatrique pour adolescent. Il faut créer et donner des moyens à des structures intermédiaires qui puissent les prendre en charge sur le plan médical sans mettre en danger les autres enfants et le personnel hospitalier.
La réorganisation nationale et régionale de la carte hospitalière devrait tenir compte de ces éléments. Ils ne sont pas nouveaux, mais ils s’imposent pour des raisons logistiques et légales.
Il y a bien longtemps que les hôpitaux pédiatriques Nord-américains prennent en charge les adolescents jusqu’à18 ans et parfois un peu plus dans les pathologies chroniques invalidantes.
Il est évident que le vieillissement de la population entraîne une modification des besoins hospitaliers. L’orientation des adolescents vers les hôpitaux pédiatriques ne nuirait pas au recrutement des hôpitaux d’adultes qui sont déjà surchargés par l’inflation des personnes âgées. Il n’est pas logique de fermer des lits hospitaliers de pédiatrie médicale et chirurgicale alors que ces lits devraient être utilisés au moins en partie pour prendre en charge les adolescents, éventuellement dans des unités adaptées et autonomes. Cela permettrait d’avoir un potentiel d’hospitalisation plus important en cas d’épidémie dans les hôpitaux pédiatriques, notamment en Ile de France, par exemple pour la bronchiolite.
Il ne saurait y avoir de clause obligatoire car des dérogations peuvent toujours être possible pour respecter la volonté de l’individu ou de ses parents, clause prévue dans l’article 5 et 5 bis de la même convention. Cela est d’ailleurs possible actuellement grâce à une dérogation demandée par le médecin ou chirurgien traitant à l’administration de l’hôpital. Il en est tout autrement pour les cas urgents qui sont en général orientés de principe en fonction de l’âge du patient.
La réglementation hospitalière a l’obligation de respecter la limite supérieure de l’enfance qui est de 18 ans. Cependant la nouvelle réglementation ne devrait pas être restrictive pour s’adapter à la fois aux possibilités hospitalières et aux besoins personnels des patients qui sont très variables. Il faut qu’elle puisse être ouverte pour laisser aux médecins et aux parents le choix de la structure à la fois disponible et la mieux adaptée, sans avoir besoin de demander une autorisation administrative qui est forcément limitative et contraire à l’esprit de la loi.
Conséquences pour la pédiatrie
La Société Française de Chirurgie pédiatrique ne précise pas dans ses statuts les limites d’âge de son action. Son équivalent en chirurgie orthopédique, le Groupe d’Étude en Orthopédie pédiatrique étend son champ d’action à la fermeture des cartilages de croissance qui se fait entre 13 et 18 ans, parfois plus.
La Société Française de Pédiatrie a modifié récemment ses statuts en établissant clairement la limite supérieure de son activité à 18 ans. Cette position correspond tout à fait à la réalité de la prise en charge médicale des adolescents. Elle mérite d’être soulignée et défendue à une époque où les choix politiques de ces dernières années ne respectent pas les principes les plus fondamentaux de la Convention des Droits de l’enfant.
Il est dommage que cette modification ne soit pas intervenu plus tôt dans le débat politique. Pourtant les pédiatres, médecins et chirurgiens, ont eu depuis très longtemps une grande influence sur les choix politiques de nos gouvernants. Ils étaient pour la plupart des hospitalo-universitaires, surtout intéressés par les pathologies du nouveau-né, du nourrisson et du petit enfant, qui étaient pour eux les activités « nobles » de la pédiatrie, et peut être par des objectifs de pouvoir bien différents de l’intérêt général.
Cette attitude a certainement été préjudiciable à l’évolution des carrières médicales et chirurgicales pédiatriques qui sont devenues progressivement les spécialités les plus pauvres, en moyens et en hommes.
Il est évident qu’une spécialité qui reste ou qui devient purement hospitalière est vouée au déclin car elle ne peut pas se renouveler suffisamment.
C’est le cas de la chirurgie pédiatrique qui n’est jamais vraiment sortie des hôpitaux car elle est complètement négligée par la nomenclature des actes. La grande majorité des jeunes chirurgiens s’oriente vers la prise en charge des adultes qui est beaucoup plus rentable. Les quelques-uns qui ont une formation suffisante pour prétendre à une compétence pédiatrique au début de leur carrière la perdent vite car leur activité de chirurgie adulte devient vite prépondérante. C’est surtout vrai en orthopédie où l’évolution vers des spécialités d’appareil, du rachis, du genou, du pied, de la main, accélère encore ce processus.
L’élargissement de la prise en charge chirurgicale aux adolescents est certainement un moyen d’augmenter l’activité chirurgicale d’un chirurgien à vocation pédiatrique.
La Pédiatrie générale est menacée à court terme par les économistes de la Santé qui considèrent qu’un CS de Pédiatre coûte plus cher qu’un C de Médecin généraliste et qui veulent rendre obligatoire le passage par un médecin généraliste référent. Cette volonté de contrôler les dépenses en centralisant de façon obligatoire la prise en charge des soins sur le médecin généraliste réponds à des considérations purement économiques dans un système conventionnel figé qui ne veut pas évoluer.
Elle est contraire à l’esprit même des Droits de l’Enfant, car l’enfant doit avoir un libre accès aux meilleurs soins sans discrimination. Il ne faut pas écarter la possibilité d’un recours auprès des instances internationales et européennes si la tutelle persiste dans cette voie, à moins qu’il soit possible de prouver qu’un médecin généraliste est plus compétent qu’un pédiatre pour s’occuper d’un enfant.
Cette approche ne remet pas en question les compétences du médecin généraliste. Il est évident que la valorisation du rôle du médecin généraliste est très importante pour l’avenir de notre système de soins. Elle doit se faire de façon constructive, en lui redonnant la place de médecin de famille qui lui revient, sans oublier que l’augmentation du nombre de personnes âgées augmente forcément son recrutement.
Une bonne gestion des soins ne doit pas se faire en paupérisant la Pédiatrie générale qui a fait la preuve de son intérêt. Elle devrait au contraire reconnaître la compétence des pédiatres pour prévenir et traiter les complications physiques et psychiques de la puberté qui coûtent très cher à notre société.
CONCLUSION
La réforme de la législation internationale apportée par la Convention sur les Droits de l’Enfant qui a été ratifiée en 1989 mérite que nous fassions très attention aux conséquences qu’elle aura forcément sur l’organisation de nos structures de soins, notamment hospitalières.
Cette nouvelle convention répond à des besoins internationaux dont l’expression locale est très variable, mais qui répondent de toute façon à une évolution de l’idée que nous nous faisons de l’Homme. Notre obligation est de la respecter si nous voulons qu’elle le soit ailleurs dans tous les domaines. Il faut donc organiser notre société en conséquence.
La Convention des droits de l’enfant n’est pas simplement faite pour le Tiers monde. Elle doit être respectée par tous les États signataires, dont la France, qui a aussi sa part de misère sociale et d’injustice d’une part et sa part d’incohérence dans l’organisation générale de la société d’autre part. Cela est d’autant plus important que le respect de cette Convention peut apporter un éclairage nouveau sur notre avenir, notamment dans l’organisation des soins en France avec le souci d’améliorer la qualité de la prise en charge de la population et d’améliorer la rentabilité des structures de soins actuelles, notamment hospitalières.
Cela ne veut pas dire qu’il faut opposer les hôpitaux faits pour les adultes et les hôpitaux d’enfants. Il faut au contraire avoir beaucoup plus de souplesse dans l’imagination des futures structures hospitalières en s’appuyant avant tout sur la compétence des praticiens et des personnels soignants. Il faut pour cela valoriser le rôle des soignants prenant en charge les enfants aussi bien à l’hôpital qu’en dehors, qu’ils soient spécialistes ou non. Il faut pour cela leur donner les moyens et la reconnaissance indispensable pour l’exercice de leur art et leur renouvellement au sein des nouvelles générations. Cela mérite un autre débat.
Olivier Badelon
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