Santé et société – Place de l’assurance complémentaire


Notre système de Santé doit évoluer sinon nous risquons tous, soignants et soignés, d’être les victimes des sirènes qui veulent sa privatisation sauvage ou à l’opposé sa nationalisation complète, ou encore la maîtrise comptable étatisée qui provoquera à terme un éclatement complet du système actuel.

Ces propositions ont fait la preuve de leur échec dans d’autres pays, aussi bien aux USA qui est le phare de la société capitaliste, qu’en Angleterre ou en Israël qui se veulent des sociétés socialistes modernes. Le résultat est le même, un échec de la maîtrise comptable des dépenses de soins, aussi bien par les systèmes nationalisés avec des soignants salariés que par les assurances privées avec des réseaux de soins contrôlés de la façon la plus moderne, notamment par la gestion informatique, avec à chaque fois la création d’un système de santé à deux vitesses.

 L’exemple de nos voisins anglais devrait nous faire réfléchir. La médecine anglaise a longtemps était complètement nationalisée avec comme objectif clairement annoncé un contrôle des dépenses de soins en limitant l’offre au niveau médical et hospitalier, avec l’obligation pour les patients de consulter un médecin référent, avec un système hospitalier régulé par un budget global très strict entraînant la création de liste d’attente de plus en plus longue, avec l’exclusion des personnes âgées de certains soins notamment la dialyse. Ce système a eu la faveur de nombreux économistes de la Santé car il permet de limiter les dépenses, mais à quel prix !

Certainement au détriment de la qualité, puisqu’il supprime la possibilité de mettre en concurrence les praticiens et qu’il crée des obstacles à se faire soigner correctement en diminuant l’offre de soins, mais aussi au détriment de la morale puisque la corruption permet de contourner ces obstacles. Cela a provoqué en effet la création d’un véritable marché noir des soins qui est devenu tellement important et scandaleux qu’il a fallu reconnaître la nécessité de créer le système privé complémentaire qui existe actuellement.

Il est évident qu’avec un système nationalisé comme celui de l’Angleterre la limitation de l’offre de soins a des conséquences graves qui touchent toutes les catégories d’âge et surtout les personnes âgées. L’objectif des économistes de la santé qui sont favorables à un tel système est d’accélérer le décès de ces personnes fragiles qui sont consommatrices de soins. Ce choix politique est non seulement contraire à notre éthique, il est aussi stupide sur le plan social et économique.

L’exemple des prothèses articulaires est particulièrement démonstratif. Les personnes âgées atteintes d’arthrose invalidante deviennent rapidement dépendantes puis grabataires en l’absence de soins adaptés, ce qui entraîne des dépenses encore plus importantes en fin de vie. Alors que celles qui sont remises debout grâce à des prothèses articulaires resteront autonomes beaucoup plus longtemps. Il est vrai que certaines ont ainsi une prolongation de vie et deviendront de grands consommateurs de soins. Il est encore plus vrai qu’un grand nombre restera très actif et en bonne santé, apportant leur activité et leur expérience à notre société aussi bien au sein de la cellule familiale, qu’au sein de la société en général.

L’exemple des pathologies cancéreuses est encore plus grave car le retard de la première consultation spécialisée entraîne forcément un retard du traitement et de ce fait une morbidité et une mortalité plus importantes.

 À l’opposé, les défenseurs de la privatisation du système de Santé devraient méditer sur l’exemple des Etats Unis d’Amérique qui doivent faire face au déficit le plus important de tous les pays industrialisés, complètement débordé par le développement des contraintes juridiques, le dictat des assurances et la dégradation de l’état de santé des plus défavorisés qui retentit sur l’ensemble de la population. Les pauvres sont pris en charge gratuitement par le service public dont la qualité est très variable selon les Etats. Les riches ont des assurances complémentaires très importantes et peuvent autofinancer au besoin leurs propres soins auprès des meilleurs praticiens et dans les meilleurs établissements privés. Les classes moyennes s’adressent à des assurances privées qui régulent les dépenses de soins de façon très sévère en sélectionnant les malades et en contrôlant les traitements auxquels ils ont droit, en augmentant les délais d’attente pour les pathologies chroniques et en excluant les mauvais payeurs ou les grands consommateurs de soins. Ceux qui sont rejetés par ces assurances privées se retrouve brusquement dans le système public qui est alors payant tant qu’ils sont au-dessus du seuil de la pauvreté.

La classe moyenne est la plus touchée par un tel système. Il suffit que le chef de famille soit malade suffisamment longtemps pour qu’il ne puisse plus payer son assurance. Il lui faut alors vendre tous ses biens pour pouvoir se faire soigner avant de tomber sous le seuil de pauvreté qui lui permet alors d’avoir droit à la gratuité du service public.

Les médecins sont pris en otages et sont impuissants contre les assurances dont dépends leur propre rémunération. Ils sont même obligés de tricher dans la description de la maladie de certains patients pour obtenir leur prise en charge. Ils deviennent les créditeurs du système et il leur est quasiment impossible de récupérer le remboursement de leurs frais en cas de litige, de retard ou de cessation de paiement de la part des compagnies d’assurances.

Un tel système est extrêmement dur et injuste. C’est pourtant ce que nous prépare à la fois la CMU et la montée en puissance des assurances privées et des mutuelles qui proposent des solutions tout à fait comparables à ce qui se passe outre-Manche et outre-Atlantique.

 En effet, la CMU n’apporte rien de nouveau pour les pauvres qui bénéficiaient déjà de l’Aide médicale gratuite (AMG) leur permettant d’avoir accès en toute gratuité aux Hôpitaux publics et aux Centres de consultations municipaux. Ce système pouvait être détourné par certains fraudeurs. La carte Paris-Santé avait l’avantage d’apporter une reconnaissance officielle et une certaine garantie pour le système de soins. La CMU a le même intérêt car elle oblige le détenteur à être recensé mais elle devrait faire l’objet d’une identification au moins par une photo d’identité récente comme pour la carte d’identité. Il est évident que la CMU va entraîner une augmentation de la consommation des soins notamment de confort sans augmenter la qualité de la santé de la population en provoquant une apoplexie du système administratif tout en prenant en otage les soignants libéraux et les pharmaciens.

La mise en place de réseaux de soins organisés par des compagnies d’assurances ou des mutuelles qui prendrait en charge, à la fois l’assurance maladie universelle et l’assurance complémentaire, aura des effets très pervers. Le projet AXA en est un exemple. Les assurés sociaux qui choisiraient un tel système seraient pris en charge complètement, sans critère de sélection à l’entrée, et exclusivement par des praticiens et des établissements agréés par AXA, le remboursement complet des soins étant présentés comme « une cerise sur le gâteau ». Les praticiens et les établissements qui choisiraient un tel système seraient assurés d’avoir une clientèle. Les clients de ce système seraient théoriquement bien soignés avec une évaluation permanente des pratiques médicales.

Ces réseaux privés sont présentés aux pouvoirs publics comme un moyen de diminuer les dépenses de santé en faisant des économies de gestion sur le système général de la Sécurité sociale et des économies sur les dépenses de soins.

 En fait, ils vont créer un système de santé à deux vitesses qui va encore aggraver la fracture sociale.

Accepter un tel système serait une remise en cause fondamentale de la Sécurité sociale et de la tendance qui est d’unifier tous les régimes pour des raisons d’efficacité et de justice sociale. Ce serait une remise en cause fondamentale de la médecine libérale avec un salariat de fait sans en avoir les avantages sociaux et une dichotomie déguisée puisque le patient n’aurait plus aucune liberté de choix. Enfin et surtout, ce serait une erreur d’analyse sur le plan économique avec à terme une augmentation des dépenses de santé. Pourquoi ?

Il faut d’abord rappeler que la Sécurité sociale rembourse les frais au tarif conventionnel moins le ticket modérateur quand il existe. Les assurances complémentaires privées ou mutualistes ne font que rembourser le surplus, c’est-à-dire au minimum le ticket modérateur, et éventuellement en fonction du tarif de cotisation de l’assuré, tout ou partie des dépassements d’honoraires ou des frais d’hospitalisation privée.

Il faut aussi rappeler que les tarifs de cotisation à la Sécurité sociale sont indépendants de l’âge et de l’état de santé des assurés sociaux, et que les enfants sont pris automatiquement sous le régime de leurs parents, alors que les compagnies d’assurance prennent en compte le nombre d’enfants dans une famille et augmentent leurs tarifs avec l’âge et avec l’état de santé de leurs assurés.

La privatisation des méthodes de gestion du Système général permettrait sûrement de faire des économies. Cela explique probablement la réaction violente de la Mutualité française aux propositions des assurances privées car elle voit apparaître une concurrence sur son propre terrain.

La constitution de réseaux de soins permettrait de contrôler les dépassements d’honoraires des médecins, les prescriptions d’examens complémentaires et de médicaments, mais aussi les hospitalisations pour les pathologies chroniques.

 À terme, il est possible d’imaginer que les praticiens et les établissements qui choisiraient un tel réseau seront complètement dépendants des arguments économiques des Assureurs qui en seront les bénéficiaires sans avoir la responsabilité des choix médicaux  et de la qualité du service rendu, ni les risques de la gestion de l’outil de travail.

 En tout cas, il est certain qu’un tel système ne permettrait pas de limiter la demande des assurés puisqu’ils seront complètement pris en charge, avec à terme une inflation des dépenses en l’absence de responsabilisation des consommateurs.

En effet, il faut savoir que la réaction des consommateurs de soins est la même devant la pseudo-gratuité d’une prise en charge à 100 % des soins, quel que soit leur niveau social et leur niveau d’assurance complémentaire. Ils consomment sans modération, sans aucune responsabilité.

 Après avoir serré les boulons partout pour faire des économies, les compagnies d’assurance seront obligé d’augmenter leurs cotisations si elles veulent continuer à offrir des prestations de qualité. Ceux qui ne pourront pas suivre cette augmentation seront exclus du réseau et se retrouveront dans le système général, exactement comme aux U.S.A., avec les dérives sociales qui en découlent.

En fait le réseau AXA ne ferait qu’exploiter au mieux le système existant, sans le faire évoluer. Ce n’est pas le profit qui est critiqué, car il est tout à fait normal que les Mutuelles et les Compagnies d’assurance privées cherchent à être bénéficiaires tout en protégeant leurs cotisants de la meilleure façon possible. C’est la voie qu’ils ont choisi qui est mauvaise, car ce sera un échec complet sur le plan économique, en augmentant à terme les dépenses de soins au lieu de les limiter, et d’une façon encore plus grave, au détriment de la qualité de ces soins et de la liberté des soignants et des patients.

Les assureurs privés et mutualistes ont un rôle considérable à jouer dans l’évolution de notre système de Santé à condition qu’ils prennent en charge la part qui leur est réservée naturellement, c’est-à-dire la gestion de la part complémentaire par rapport au régime général. C’est justement les limites du régime général qu’il faut redéfinir, ainsi que le rôle et la responsabilité de tous les intervenants, c’est-à-dire des gestionnaires, des soignants et des industriels, mais aussi de l’ensemble de la population.

Pourquoi vouloir reproduire les erreurs des autres pays alors qu’il suffit de faire évoluer de façon raisonnable notre système qui est probablement l’un des meilleurs et des plus équitables.

Comment sauver le principe de la Sécurité sociale qui est probablement l’un des plus grands acquis de la Société française ? Comment privilégier la qualité des soins accessibles pour tous les Français ? Comment conserver des médecins, des infirmiers et d’une façon plus générale des soignants compétents et motivés ? Comment échapper à la paupérisation actuelle du système qui touche en premier les plus modestes, car les autres ont et auront toujours l’accès aux meilleurs soins ?

Notre système est probablement l’un des meilleurs à condition de le faire évoluer devant les contraintes socio-économiques en conservant la complémentarité exemplaire du système public et du système privé tout en clarifiant leur rôle respectif et en les évaluant selon les mêmes critères.

La liberté de choix du patient pour son médecin et la liberté de prescription du médecin pour son patient doivent rester les principes fondamentaux de notre pratique médicale. Cette liberté ne pourra perdurer que si le système que nous allons mettre en place responsabilise vraiment l’ensemble de la population. Cela suppose que l’évaluation de nos pratiques devienne une démarche quotidienne. Cela suppose que la sanction du risque et du résultat devienne une priorité pour tous les acteurs du système de Santé aussi bien dans le secteur public que dans le système privé.

Les principes à respecter sont reconnus et les solutions existent à condition de considérer à chaque fois comme une priorité l’intérêt du malade et du patient potentiel, c’est-à-dire de la collectivité.

Olivier Badelon

dans « Allo Docteur, la France est malade » – Chapitre V

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