DE LA CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE au renouveau de l’organisation médicale à l’Hôpital Universitaire


 Le suicide du Professeur Jean-Louis Mégnien a défrayé la chronique le 17 décembre 2015 car il a eu lieu dans un lieu très symbolique aux yeux de tous, l’Hôpital Georges Pompidou.

Ce drame m’a révolté car il était pour moi la conséquence directe de l’organisation hospitalière en particulier universitaire, et il aurait pu être évité.

J’ai écrit cet article dans les jours qui ont suivi mais j’ai attendu pour faire part de ma réaction car je voulais être certain de ne pas réagir à chaud de façon inconsidérée.

Le décès récent d’un autre médecin hospitalier anonyme, très probablement victime de la vindicte de ses confrères et du système, me confirme qu’il faut le publier.

La dépression qui conduit au suicide est une maladie qui peut n’être qu’un mauvais passage dans la vie si la personne atteinte réussit à rebondir après avoir touché le fond. Il est difficile de le faire seul et l’aide de l’entourage aussi bien familial que professionnel est important.

Cet homme a été poussé tellement loin dans le désespoir qu’il a oublié ses responsabilités de père, alors qu’il avait cinq enfants, et de médecin car ses patients avaient besoin de lui.

Ce drame ne doit pas faire oublier les trop nombreux suicides de médecins anonymes, mais aussi d’infirmiers, harcelés par une administration trop tatillonne qui ne fait qu’appliquer des règlements et des lois décidés par la tutelle et votés par quelques députés dans une Assemblée Nationale presque vide.

Il faut espérer que la loi de Marisol Touraine, qui a été votée envers et contre la grande majorité des médecins et de tous les soignants, ne déclenchera pas une vague de suicides aussi bien à l’hôpital qu’en dehors, car elle risque de pousser nombres de médecins au désespoir.

Il faut espérer que la plainte qui été déposée contre X pour harcèlement permettra de remettre en question l’organisation hospitalière. Il faudrait aussi que les familles des médecins qui se sont suicidés ces dernières années, ou qui le feront malheureusement demain, n’hésitent pas à porter plainte contre X pour mettre en responsabilité les vrais responsables.

D’après tout ce qui a été dit et écrit sur ce suicide spectaculaire, il serait insuffisant et presque injuste de s’attaquer seulement au Directeur de cet établissement et au chef de service car notre responsabilité est collective.

Il faut avoir le courage et l’intelligence d’assumer cette responsabilité collective et de changer un système qui est obsolète depuis trop longtemps, un système que les grandes lois sur la Santé n’ont fait qu’aggraver, notamment celle de Alain Juppé, la loi HPST de Roselyne Bachelot et celle de Marisol Touraine.

Elles n’ont fait qu’aggraver la centralisation du pouvoir administratif sans corriger le caractère féodal de la hiérarchie médicale hospitalière, aussi bien pour les nominations où le « fait du prince » est encore trop fréquent, que dans la cumulation de tous les pouvoirs administratif, universitaire, scientifique et médical, donnés à des médecins jusqu’à leur retraite, ce qui déclenche un esprit « courtisan » avec des guerres intestines dans les services, et des luttes entre les services et les spécialités qui dépassent l’intérêt du fonctionnement de l’hôpital et celui des patients.

À force de se disputer entre eux et de refuser d’évoluer comme l’ont fait depuis longtemps nos confrères étrangers, notamment anglophones, les médecins hospitaliers français ont perdus tout pouvoir dans les choix politiques de l’hôpital face à une administration qui peut en profiter à son gré, l’équilibre étant rompu.

L’ambiance délétère et la guerre des chefs qui existent à l’Hôpital Pompidou est une réalité qui est connue depuis son ouverture et qui était malheureusement prévisible bien avant son ouverture, car la Direction de l’Assistance Publique de Hôpitaux de Paris a voulu regrouper dans un hôpital gigantesque des services de même spécialité, dirigés par des médecins qui ont été incapables de travailler en bonne entente, provoquant des difficultés à tous les niveaux, techniques et humains.

Cette mauvaise ambiance existe malheureusement dans un grand nombre d’hôpitaux et de services, en particulier dans les hôpitaux universitaires où les enjeux de pouvoir sont particulièrement importants.

Les hommes sont ce qu’ils sont.

C’est le système qui détermine leur comportement.

C’est le système qu’il faut changer.

C’est ce que j’ai voulu faire il y a trente ans quand j’ai travaillé comme conseiller, en tant que Praticien hospitalier, aux côtés de Mr Jean de Savigny, alors Directeur des Affaires Médicales de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris.

Après m’avoir demandé de faire des rapports et des propositions sur l’Hôpital de Jour et les Urgences, rapports qui ont inspiré en leur temps des rapports officiels remis à la tutelle, il m’avait demandé de faire des propositions pour améliorer les carrières hospitalières.

J’avais observé ce qui se passait en France, en Europe et en Amérique du Nord à l’occasion de courts séjours de « compagnonnage » et j’avais fait quatre propositions qui sont plus que jamais d’actualité.

La proposition qui me paraissait essentielle était la séparation des titres et des pouvoirs, car il est impossible qu’un Médecin puisse être compétent pendant toute sa carrière dans tous les domaines, et même qu’il puisse avoir le temps de se consacrer de façon efficace à toutes ses missions : l’organisation des services, la gestion des ressources humaines, l’enseignement, la recherche clinique et scientifique, les soins.

Il serait beaucoup plus logique d’avoir une carrière plus progressive, avec des fonctions bien identifiées et non cumulatives qui puissent évoluer au cours d’une carrière hospitalière et universitaire avec des passages de l’une à l’autre en gardant la fonction de soins comme base pour tous : Direction de service, Enseignement clinique, Recherche scientifique appliquée, Recherche clinique, Organisation de Département, Direction médicale de l’Hôpital.

Malheureusement cette proposition n’a pas été retenue, pourtant j’ai su que mon rapport était remonté à la tutelle et qu’il avait permis la création de postes de Professeurs honoraires pour les médecins Professeurs des Universités.

Cela a été reconnu comme un droit et réalisé sur la base du volontariat, en leur permettant de rester à l’Hôpital, au delà de leur mise à la retraite hospitalière, faisant profiter les plus jeunes et les patients de leur expérience.

Il est dommage que cela n’ait pas été appliqué de la même façon à tous les Praticiens hospitaliers.

Il est vrai que cela peut l’être maintenant pour les Praticiens hospitaliers avec la nouvelle loi Touraine, mais le volontariat ne suffit pas, il faut l’accord de la hiérarchie, et il est évident que les postes de Praticiens hospitaliers honoraires en CHU seront difficiles à obtenir car les chefs de services préfèreront recruter des jeunes qui se battent pour y faire carrière, alors que de nombreux postes de Praticiens hospitaliers restent vacants dans les hôpitaux régionaux.

Il est tout aussi dommage que les deux autres propositions n’aient pas été retenues :

  • le salariat des étudiants en médecine qui permettrait de lever la barrière sociale de la longueur des études et de valoriser la carrière hospitalière en faisant commencer le calcul de l’ancienneté plus tôt, avec un rendu dans la carrière hospitalière d’une dizaine d’années en équivalent temps plein ou temps partiel, ce qui permettrait de combler le déficit en médecins hospitaliers avec des médecins expérimentés au lieu d’être obligé d’engager des médecins étrangers à la formation difficile à contrôler.
  • la reconnaissance des Internes des Hôpitaux en tant que médecin et non pas comme des étudiants, comme autrefois, ce qui les responsabiliserait à une époque où la qualité des internes se dégrade avec de la même façon une bonification pour le calcul de l’ancienneté et de la rémunération.

Le non cumul des responsabilités hospitalières et universitaires, la reconnaissance comme un droit pour les Praticiens hospitaliers à prolonger leur carrière au delà de 65 ans dans leur poste, la reconnaissance des internes comme médecins, et le salariat des étudiants sont toujours des propositions d’actualité.

Je les mettrai en place si j’en avais le pouvoir car cela permettrait de remplir les postes hospitaliers vacants en revalorisant l’ensemble des carrières médicales hospitalières sans toucher à la « grille » des fonctionnaires.

Cela permettrait aussi aux médecins hospitaliers d’être plus efficaces dans leurs missions, de faire plus attention à leur relation entre eux, et surtout de retrouver l’esprit de corps et le pouvoir médical qu’ils ont complètement perdus.

Dr Olivier Badelon

Professeur au Collège de Médecine et de Chirurgie des Hôpitaux de Paris

Praticien hospitalier à mi-temps à l’Hôpital Robert Debré (Paris 19)

Chirurgien orthopédiste pédiatre en libéral

 

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