Des choix et des lois, qu’allons nous encore changer? Un point de vue


Interview avec le Docteur Marius M. SCARLAT, Chirurgien Orthopédiste à Toulon

Olivier Badelon – Secrétaire du Syndicat National des Chirurgiens Orthopédistes

Publié dans le N°3 – 2008 de la Revue du Syndicat National des Chirurgiens Orthopédistes

Docteur Olivier BADELON :   L’Europe est une réalité et nous devons l’intégrer dans le recrutement de tous les médecins et en particulier des chirurgiens et des anesthésistes. Nous pensons que cela ne doit pas se faire n’importe comment.  Depuis longtemps les politiques ont choisi de restreindre le nombre des médecins en formation par un Numerus clausus très restrictif pour essayer de contrôler les dépenses de soins en limiter l’offre. Il s’agit d’une politique désastreuse qui abouti à la situation de pénurie dans laquelle nous nous trouvons et qui va encore s’aggraver. Cette politique est d’autant plus scandaleuse que cette pénurie est comblée dans les hôpitaux par des médecins étrangers qui ont suivi une mode de sélection et une formation beaucoup moins sélective, et qu’elle contribue forcément à la paupérisation de leurs pays d’origines qui se vident de médecins. Par ailleurs il est tout à fait anormal d’exploiter des chirurgiens et des anesthésistes étrangers dans les hôpitaux, avec un statut et une rémunération ridicule, si ils ont les compétences et les diplômes nécessaires. Il aurait mieux valu former plus de médecins dans nos Facultés, en les sélectionnant sur les mêmes critères qu’ils soient français ou étrangers, et les exporter au lieu de briser des vocations qui nous seraient bien utiles aujourd’hui. Marius est l’exemple même d’un chirurgien européen qui s’est installé en France , qui est devenu français et qui a réussi. Il est membre du Bureau du SNCO. Il nous a donné son point de vue lors de la dernière réunion du Bureau.

Nous lui avons demandé de s’exprimer dans la Revue à ce sujet.

Dr Marius M. SCARLAT : La société française contemporaine est en changement et évolution, les développements sont rapides et spectaculaires en ce début de siècle et l’impact de ces changements est parfois brutal et inattendu. Notre pays a un système de santé riche et performant, une notoriété internationale indiscutable et des réalisations qui ont marqué l’époque et qui ont fait couler beaucoup d’encre. Un point d’honneur sur lequel les collègues sont unanimes est que la médecine et la chirurgie moderne augmentent l’espoir et la qualité de vie. Voici donc notre raison d’être ! Il est indiscutable aussi que notre formation est longue et mal rémunérée, que notre installation est tardive et imprévisible et que notre période de travail actif reste de courte durée, entre les formations diverses, le temps de « démarrage » et les obligations de vie, familiales notamment.  Ces données sont applicables partout dans les pays développés, mais il est notoire que la situation des chirurgiens et spécialistes français s’est beaucoup détériorée ces derniers vingt ans. Dans un pays où il est indélicat de parler « argent » le système de santé a « conventionné » les chirurgiens des années ‘197O,  « rémunéré » les spécialistes des années ‘199O et se prépare a « paupériser » ceux qui travaillent de nos jours et qui prennent les changements en pleine force et d’une manière très brutale. Dans le pays ou le chirurgien des hôpitaux est devenu « praticien » et la femme de ménage est devenue « technicien de surface » on s’apprête a changer encore les lois dans le système de santé.

Je me demande comment était la situation à l’époque ou la Sécurité Sociale a décidé de mettre en place les règles qui ont emmené à sa faillite… Il est évident que le système actuel est souffrant et qu’il est obligatoire de prendre des mesures pour augmenter son efficacité.

J’ai vécu comme étudiant la « Loi Pasqua » qui interdisait l’embauche des médecins étrangers dans les hôpitaux et les « exceptions » qui ont permis l’entrée de plus de 17.OOO médecins dans le système public hospitalier en manque cruel de personnel. J’ai connu la « Loi Toubon » qui interdisait l’utilisation des mots comme « airbag, stent, tag, week-end » et d’autre anglicismes sous peine d’amende. J’ai connu des collègues français qui ont quitté la France pour se spécialiser en Belgique ou en Angleterre afin de revenir s’installer chez eux, parfois dans la ville universitaire qui les a rejetés en tant qu’étudiants. J’ai connu les paradoxes d’un système qui a décidé d’une mesure punitive de « numerus clausus » et qui se retrouve en difficulté de recrutement face a une démographie changeante.  Les réformes du système de santé doivent être accompagnées par des réformes dans le système de formation et de validation des diplômes.  L’uniformisation européenne peut être effectuée sur une base d’efficacité et pas forcement de « nivellement par le bas ».  L’histoire des « médecins moldaves » qui étaient prêts a venir travailler pour mille euros par mois a fait sourire les véritables spécialistes. Elle fait sourire aussi les directeurs des hôpitaux qui savent que le travail doit être payé correctement. Personnellement je ne veux pas être opéré par un chirurgien qui gagne mille euros par mois. Au même titre que je préfère réparer ma voiture chez un réparateur agrée qui facture soixante-treize euros pour l’heure de main d’œuvre qualifiée et qui garantit sa prestation. Ma hanche vaut bien beaucoup plus que le pare-choc de mon automobile.

De temps en temps il nous arrive de lire dans les médias que « le chirurgien fautif a été condamné… » ou que « huit pour cent (8%) des chirurgiens pratiquent des dépassements d’honoraires sauvages ou des dessous de table ». Je pense qu’il faudrait orienter un peu l’attention publique sur les autres quatre-vingt douze pour cent (92%). On ne s’intéressent pas a eux. Eux c’est NOUS ! On trouve normal que EUX travaillent, qu’ILS fassent des gardes de nuit et des astreintes, qu’ILS opèrent correctement les patients de leur communauté.  Malgré les conditions de plus en plus difficiles et contraignantes, malgré la baisse de revenus, malgré la dévalorisation de notre métier. Quand j’étais étudiant on parlait avec admiration du Docteur Y qui opérait la prothèse totale de hanche en une heure… Quel professionnel, quel champion..! De nos jours on nous demande « Docteur, combien va durer mon intervention ? ». Il existe encore des chirurgiens déconnectés de la réalité qui répondent « une petite heure » pour rassurer leur patient. Un chirurgien réaliste répond « entre deux heures et demie et trois heures et demie… La durée du geste chirurgical est d’environ une heure mais comme je dois être présent à partir de l’installation sur la table et jusqu’à la sortie en salle de réveil… Bien sur que cette partie n’est pas facturée, elle fait partie de mes obligations occultes. Comme n’est pas prise en compte toute la partie administrative et légale qui occupe de plus en plus de place dans nos dossiers médicaux. Et le temps que je passe à vous parler pour vous rassurer… ».

La mise en place d’un nouveau système de financement pour la santé devrait prendre en compte tout cela, sous peine de manque de réalisme. Tout simplement pour que cette nouvelle loi ne devienne pas une nouvelle « loi Pasqua ».

La normalisation Européenne de santé passe avant tout par une uniformisation des normes de qualité et des diplômes permettant de travailler.  Autrement dit il est essentiel que la formation à Cracovie, Oradea ou Budapest soit aussi bonne qu’à Nancy ou Édimburgh. Concernant le financement, c’est une toute autre histoire… Aux États Unis d’Amérique et au Canada chaque état a ses propres lois de santé. Les normes sont les mêmes, ce qui permet de travailler à Montréal comme a Los Angeles mais les systèmes d’assurance sont différents. Un chirurgien gagne bien mieux sa vie en Alaska ou au Nevada que dans l’Arkansas. Dans chaque état il y a des assurances de santé qui sont « agrées » et qui prennent en charge le prix des soins et la paye des médecins (à l’acte, même pour les hôpitaux).

Si il y a une volonté politique de changer le financement de la santé en France il est souhaitable de faire avec les médecins et pas contre eux. Ces mesures doivent faire l’objet d’un débat économique et pas d’une démagogie égalitariste. Ces mesures doivent être suffisamment souples pour permettre un ajustement annuel ou semestriel. Dans un pays avec une assurance santé obligatoire et une économie performante  il est important de créer des règles permettant aux médecins de bien soigner les assurés. Et pas sur des critères politiques !

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