Maître Olivier BERNHEIM, Avocat à la Cour de Paris
28 novembre – 4 décembre 2020
L’article 24 de la Loi « sécurité globale » est, le moins que l’on puisse dire, controversé. Cette loi pourrait devenir le « Sécurité et libertés » (1980…) du Président MACRON.
Derrière l’ « intention malveillante » répréhensible lorsqu’elle motive la diffusion d’images de policiers l’on masque, traquée, affolée, violentée, carrément violée même, la liberté d’informer.
La réalité administrative est plus triste encore que la réalité : la vision stabilisée imposée d’une mer éternellement calme est censée rassurer le peuple sur l’efficacité, la neutralité de l’administration, et surtout sur l’inexistence de scandales, au point qu’il serait inutile de le rechercher, mais aussi d’informer sur leur existence.
L’administration en général s’attache à promouvoir cette idée profondément fausse qu’elle fait parfaitement le ménage chez elle, et n’a besoin d’aucun contrôle externe, et surtout pas de journalistes ni de lanceurs d’alerte. Notre système, que le monde entier serait censé nous envier, serait au-dessus de tout soupçon : dormez, braves gens !
Qui ignore que le regard de l’autre est vite insoutenable.
Alors, forcément les images, seraient-elles muettes, ce qui est parfois plus violent encore, parlent car, pour reprendre le mot de NAPOLEON, « le plus petit croquis vaut mieux qu’un long discours ». Voir interdit de détourner pudiquement le regard, n’autorise pas le négationnisme au quotidien du faux innocent « Ah ! Je ne savais pas ».
Pour autant, l’on sait aussi que l’image peut être trompeuse. Le film, moins, et c’est là où le bât blesse.
Dans l’administration, dans les administrations devrait-on dire, règne cette double équation plate porteuse de paix : pas de rapport, pas d’image = pas de trace = pas de problème : le secret protège. Le secret absolu protège absolument.
L’image témoigne, elle révèle, le film davantage encore. Et par essence, l’image en devient malveillante. C’est aussi sa nécessaire présence en démocratie : permettre à l’information de circuler.
La contrôler, c’est rétablir la censure, concéder au peuple, qui n’est plus considéré comme une assemblée de citoyens, mais davantage un ramassis de sujets, ce qu’on veut bien lui laisser voir ou entendre.
Et c’est là que le projet de M. DARMANIN est malheureusement totalitaire. Imposer, même indirectement, à la presse de s’accréditer préalablement auprès de la préfecture pour couvrir des manifestations est la première marche d’une censure à peine déguisée : la carte de presse doit rester le seul bouclier exigible et inattaquable de l’immunité du journaliste. La liberté de la presse l’appelle-t-on, avec son lot gagnant de protection des sources.
Mais le citoyen est aussi investi de devoirs de dénonciation d’écarts dont il serait le témoin, ou d’intervention : ce n’est pas pour rien que la non-assistance à personne en danger est un délit. Par ailleurs, l’article 40 du CPP (code de procédure pénale) renforce la citoyenneté par l’obligation pour tout fonctionnaire de dénoncer des délits dont il est témoin, même si son manquement n’est pas toujours sanctionné.
Les moyens modernes permettent désormais, c’est un peu une infection, à chacun de photographier, et plus encore de filmer à tout bout de champ, mais cela a cette vertu de pouvoir mettre chacun sous le regard des autres en cas de problème éventuel.
En ce sens, les policiers et gendarmes sont sous l’objectif de tout passant, devenu enregistreur de leurs agissements : les images animées sont bien plus cruelles que des témoignages, toujours sujets à caution, et c’est ce qui dérange. Les excès et dérapages, jusque-là commis en toute impunité, deviennent plus difficiles à cacher, et la hiérarchie, parfois frappée d’une cécité bienveillante trop opportunément sélective, qui selon les bons principes du monde administratif, couvre avec allégresse, se trouve elle aussi prise à contrepied.
Sans images de la place de la Contrescarpe, pas d’affaire BENALLA. Et les exemples abondent.
Le smartphone a imperceptiblement célébré l’enterrement de la traditionnelle omerta administrative. Aussi inconfortable cela soit-il pour d’aucuns, c’est un immense progrès, tant attendu, dans le sens d’un meilleur contrôle démocratique.
L’alliance du smartphone et des réseaux sociaux, dont il faut certes se méfier comme de la peste, mettent sous nos yeux effarés des images inimaginables, qui choquent, émeuvent et provoquent les réactions. Et, sous l’exigence impérieuse de l’immédiateté, nouvelle forme d’un état très terroriste de nécessité, en quelques clics le tour de la terre est plusieurs fois bouclé.
Le monde a changé.
Et cela interdit certains comportements qui auraient pu passer inaperçus, ou qui auraient été vite étouffés. Désormais, l’image animée se fait tsunami, et la disqualification est au bout de la lentille du téléphone, devenu caméra cachée.
Chaque corps, même le mieux trié, sait qu’il abrite inévitablement des brebis galeuses. Et ce n’est pas qu’une question de recrutement à l’entrée. Couper les branches pourries permet d’éviter la contamination de tout le corps. Une police républicaine doit pouvoir se priver de la présence des 4 « héros » cogneurs de Michel ZECLER. Mais les images de la rue montrent que d’autres sanctions sont à prendre à l’égard de leurs collègues qui ont laissé se poursuivre ces violences là où leur devoir leur imposait de s’interposer : l’esprit de corps en a malheureusement rajouté, qui installe parfois de œillères complices. A la honte, les collègues abstentionnistes ont ajouté le déshonneur.
Lorsque le témoin devient gênant, l’image, et plus encore le film, qu’il a enregistré deviennent intention malveillante, parce que l’on voudrait éviter, ou réduire au silence, cette conscience qu’il faut faire taire. Le côté sombre que l’on veut laisser dans une ombre complice dérange le bon ordonnancement apparent de l’administration tranquille : l’image détruit le mensonge disculpant reconstruit, et accuse mieux que les plaintes, elle libère les témoins et les remet dans jeu.
Car, presque plus grave que les coups sur Michel ZECLER, le rapport trafiqué des évènements pour blanchir les intervenants, vieille tradition administrative, est un faux public qui jette l’opprobre sur ses auteurs. Une couche indélébile qui n’avait pas besoin d’être rajoutée, sinon qu’elle vient inopportunément confirmer cette certitude d’impunité qui autorise tous les dévoiements.
Imposer de flouter les visages pour la diffusion hors presse, ou dans la presse dans certains cas, pourquoi pas.
Protéger les forces de l’ordre, les secouristes, ou autres intervenants, tous les citoyens, contre le harcèlement ou l’incitation à la haine, dissuader violemment la diffusion de noms et d’adresses reste aà réaliser. Et cela passe d’abord par l’éducation…, ce qui n’est pas simple. Mais ce n’est assurément pas en violant la liberté de la presse, par la création d’un no man’s land de droit d’informer que l’on résoudra la question : on en fera à l’inverse un vrai problème, et surtout une grave atteinte à la démocratie.
Olivier BERNHEIM
28 novembre – 4 décembre 2020
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