Olivier BERNHEIM – Avocat au Barreau de Paris
2 juin 2021
L’information reste le nerf caché de la démocratie.
L’ignorance d’une nouvelle rend le fait inexistant : d’où l’importance cardinale d’une information aussi indépendante que complète : la liberté de l’information est l’un des thermomètres modernes de la démocratie, et son absence la potion magique des régimes totalitaires.
L’élévation du niveau des peuples par l’éducation et la diffusion de l’information, l’une n’allant pas sans l’autre, entrave aussi inévitablement la licence des gouvernants, dont la responsabilité compliquée, paradoxale, doit rester d’élever encore le niveau moyen des citoyens, en se créant de saines difficultés, à défaut de quoi ils sont vite ravalés au rang de sujets.
La difficulté, pas nouvelle, du contrôle de l’information par des groupes industriels, financiers ou commerciaux, ou des individus, forcément déjà puissants, mais qui puisent un surcroît de pouvoir dans l’influence qu’ils peuvent tirer de la maîtrise de l’information, est fondamentale.
L’exigence de fonds colossaux fait désormais entrer aussi la distraction dans ce jeu économique, qui confisque la culture.
C’est un vrai problème de société, qu’il n’est pas facile de réglementer.
L’information, denrée sensible et périssable, n’est pas un produit marchand comme un autre, et ses supports non plus, malgré les lois du marché : c’est une donnée essentielle de la démocratie. Meilleure preuve : dans les régimes totalitaires, ou seulement autoritaires, l’encadrement de l’information est particulièrement strict, et participe directement du fonctionnement du régime. La liberté de la presse y reste inconnue.
Mi-juillet 2020, l’on nous a rebattu les oreilles avec les 140.000 morts du COVID-19 aux ETATS-UNIS, présentés aimablement par les médias comme le pays ayant enregistré le plus grand nombre de morts. Le chiffre impressionnait, évidemment. C’était bien le but. Il était insignifiant, c’est-à-dire non significatif.
Rapporté aux 328 millions d’habitants des ETATS-UNIS, cela donnait 43 morts pour 100.000 habitants. C’était exactement le niveau enregistré en France, qui caracolait non en tête, mais en très bonne place, …à 42/100.000 habitants, là où l’ALLEMAGNE se traînait, si l’on peut dire, à 4/100.000. Impressionnant rapport !
La présentation de ce chiffre brut des morts, déconnecté de tout point de comparaison, constituait donc quasiment une fausse nouvelle, qui permettait de s’interroger sur ceux qui diffusaient aveuglément cette statistique : manifestement, ils confondaient journalisme et lecture de dépêche, et ce n’est pas terminé. Que se soit inscrite en filigrane de cette présentation une critique subliminale du glorieux Président Américain de l’époque était évident, mais la diffusion de ce résultat constituait, même involontairement, une manipulation plutôt grossière.
A l’autre bout de la chaîne, venait, à la même époque, le DARMANIN bashing, trop bruyamment orchestré par des organisations féministes, qui hurlaient au mépris, en dénonçant son refus de se soumettre honteusement à l’accusation de viol, sans discuter, comme si le fait était avéré, ce qui était encore loin d’être acquis.
Pourtant, l’affaire posait deux autres problèmes, qui n’étaient pas couverts.
Le premier, celui de cette victime présumée, qui aurait accepté de s’offrir, sous la « contrainte », dit-elle, pour obtenir la faveur de l’intervention qu’elle était venue solliciter. Voilà qui relève assurément d’un comportement nécessairement hautement moral, à qui nul ne viendrait l’idée farfelue de le réprouver. Et l’on ne saurait sous-entendre qu’il ait pu s’agir ainsi, pour elle, évidemment à la fois innocente et victime, de corruption active. Qui oserait ?
Il est des questions qu’il faut savoir ne pas poser.
La « contrainte » revendiquée par la prétendue victime, qui permettrait de qualifier l’acte, semble pourtant assez curieuse : où se situe la frontière entre l’attrait irrésistible de ce que l’on pourrait nommer le prestige de l’uniforme, même civil, le remerciement trop empressé ou anticipé, plus ou moins spontané, éventuellement immédiatement regretté, et le commerce furtif d’un charme ? La chose n’est sans doute pas si claire, que les associations victimaires vociférantes n’ont même pas à évacuer : elles refusent de l’envisager, se limitant à relayer bruyamment la parole de la plaignante, victime forcément innocente. Innocente ?
Le second, celui de l’homme politique sollicité, qui profiterait abusivement d’une démarche, peut-être en elle-même à la limite de la licéité, pour utiliser le crédit d’influence qu’on lui prête pour obtenir, l’on n’oserait dire monnayer, lui aussi, une faveur. Sexuelle en l’occurrence. Ce qui n’est pas mieux. Ne serait-ce pas, pour lui, une forme de corruption passive, à moins qu’il ne s’agisse de trafic d’influence, sinon même d’escroquerie, s’il a fait ou laissé cyniquement croire qu’il pouvait obtenir ce qu’il savait ne pouvoir procurer.
Ne serait-ce pas alors bien plus grave, en soi, politiquement, socialement, que ce rapport sexuel apparemment doublement douteux ?
Là encore, le battage médiatique très excessif crée un brouillard qui permet de déplacer les vrais problèmes pour se focaliser sur ce qui pourrait être l’effet condamnable d’une cause bien plus gênante : l’on ne voit que la face immergée de l’iceberg, et ça arrange bien du monde…
Car cela permet d’abord, en l’espèce, de ne pas aborder notamment la question à double sens d’une possible corruption…
Les exemples pullulent de faits inconnus ou cachés, d’informations déformées voire fausses, ou exploités sans la réflexion et le recul qu’ils devraient appeler.
Cacher est aussi dommageable que diffuser sans des clés de lecture, sans un minimum de recul.
Cela rejoint le débat sur les exactions commises pendant la guerre d’ALGERIE. Certes, elles ont été perpétrées des deux côtés. Les unes ne rattrapent pas les autres. Mais le voile jeté sur celles de l’armée Française, autant au nom du secret-défense que du mensonge d’Etat, que le Président MACRON a, plusieurs fois déjà, déchiré, crée la protestation de faux tenants de l’honneur militaire. Celui de la Nation, qui recouvre celui de l’armée, est précisément de regarder en face les excès commis, qui étaient malheureusement des crimes de sang froid, et de les reconnaître. L’omerta n’aurait pas dû s’installer pour cacher ces comportements, indignes, quelles qu’aient été les circonstances éventuellement atténuantes pour certains. Cela peut se faire dans la dignité et le calme, permis par un recul de plus de 60 ans. Il y a une exigence de vérité à laquelle il faut avoir le courage de se soumettre : même si d’aucuns veulent n’y voir qu’un autre « détail » de l’histoire…
Le travail du journaliste, d’information ou d’investigation, est de porter des faits, connus ou cachés, à la connaissance de l’opinion, de les placer dans le paysage, et de les analyser, ou de donner les éléments de l’analyse. La responsabilité attachée à la révélation ou non peut s’avérer grande : mais l’époque n’est plus au sacrifice du porteur des mauvaises nouvelles. Peut-on devoir ne pas tout dire ? Si c’est parfois pour protéger certains acteurs, peut-être oui, si c’est pour masquer une vérité dérangeante, non : pousser la poussière sous le tapis ne répond pas à l’exigence de propreté de la démocratie. Et la liberté de la presse a un prix : publier des journaux (papiers ou audiovisuels) représente de lourds investissements, que la publicité permet, au soutien des ventes insuffisantes à la vie de médias que l’on voudrait libres.
C’est là que le bât blesse : celui qui contrôle le capital dispose de fait, en plus du droit, d’un pouvoir intense d’influence, direct ou indirect, sur les contenus.
Peut-on se contenter de barrières étanches, ou supposées telles, entre l’actionnaire et la rédaction ?
Certains ont vécu un problème bien moins grave, mais significatif, à l’été 1971, à « L’Express » : le service publicité avait vendu la totalité des pages de publicité d’un numéro d’août, toujours faible en pagination et en annonces, à un groupe pétrolier : diverses publicités vantaient les produits multiples du groupe. L’actualité a fait qu’un article a été programmé pour le numéro le précédent, sur la découverte des effets cancérigènes d’un des produits de ce même groupe : le directeur de la publicité, qui recevait chaque semaine la liste des articles à paraître, a alerté le rédacteur en chef du risque présenté par ce téléscopage fâcheux, et les risques qu’il entraînait. Chacun dans son rôle, l’article est paru, responsabilité assumée. Mais il aurait facilement pu en être autrement sans que quiconque ne le sache jamais, et l’article n’aurait pas vu le jour.
L’autocensure ne laisse pas non plus sa place : détenteur d’un scoop détaillé sur la future CX de CITROËN, en avril 1974, encore connue sous le nom de future gamme L (finalement abandonnée pour des raisons phonétiques évidentes), un jeune journaliste d’un hebdomadaire économique a vu son article « sucré » d’office, spontanément, par le rédacteur en chef. La DS était alors en toute fin de vie, ce que nul ne pouvait ignorer au bout de presque 19 ans de vie, et CITROËN se trouvait en situation de quasi-faillite, quelques semaines avant le rachat par PEUGEOT. Pour ne pas risquer de porter un coup de grâce au double chevron, l’hebdo se vivant défenseur des entreprises, l’article ne fut pas publié. Il n’y avait aucune contrepartie en jeu autre que le sens des responsabilités économiques du rédacteur en chef.
Aujourd’hui, la question s’étend à cette nouvelle race née d’Internet, ouvertement nommée les « influenceurs » et « influenceuses » en tout genre, qui n’orientent pas toujours gracieusement, et ont cette supériorité magnifique d’échapper à toute règle, sinon celle de donneurs d’ordres toujours cachés…
Le « fake », fausse nouvelle en bon français, connait un développement pandémique.
De là à dire que la manipulation est au bout de la caméra, ou que le lavage de cerveau est au coin du clavier, il n’y a qu’un si petit pas à franchir, largement enjambé, très au-delà du grand écart. Mais qui n’est pas l’exclusivité d’Internet. Toutefois, l’effet démultiplicateur et immédiat de la communication électronique de masse induit des conséquences énormes.
S’interroger sur la philanthropie appliquée que constitue la passion des puissants pour les médias s’impose : est-elle vraiment gratuite ?
La tentation est-elle toujours résistible pour un détenteur du capital de se refuser la jouissance intime d’user de son influence ? Faire confiance à l’Homme est nécessaire, mais peut-on feindre d’oublier que la chair est faible, et que l’indépendance et le courage, si indispensables pour l’information, mais aussi dans d’autres domaines, peuvent se révéler, comme partout ailleurs, à géométrie variable ?
L’intérêt des hommes puissants (ou des groupes) pour l’information est-elle seulement désintéressée ? Qui n’imaginerait qu’ils cherchent d’abord à accroître une influence parfois déjà trop grande, et augmenter leur zone d’influence ? L’ivresse du pouvoir peut rester froide.
Tout cela conduit au carambolage entre le besoin premier d’indépendance de l’information pour la santé de la démocratie, l’éthique nécessaire du journaliste, et la vertu, qui va de soi, naturellement cloisonnante du patron. Dur, dur…
Les enjeux de démocratie qui découlent de la nécessaire liberté de la presse s’opposent à ce que des groupes industriels ou financiers, ou de grands industriels ou financiers, ne gagnent des galons trop éclatants d’influenceurs par leur contrôle de médias.
La même remarque vaut pour la distraction ou la culture, lorsque , par exemple, AMAZON met la main sur MGM.
Voir un capitaine d’industrie devenir un empereur de l’information ou de la culture est un mauvais signal pour les libertés, et profondément malsain pour la démocratie. La maîtrise de l’information, de la culture ou du divertissement par l’Etat n’est pas de meilleur augure si elle limite la nécessaire pluralité des supports. Mais elle permet aussi d’autoriser de décrocher des programmes des lois d’airain de la pure rentabilité immédiate.
C’est une question d’incompatibilité fondamentale autant que d’irréductible conflit d’intérêt. La pluralité de la presse ou de la culture, qu’il faut absolument maintenir, indissolublement liée à la liberté de l’information, ne doit pas souffrir d’un manque de limitation du contrôle du capital de médias, autoroute ouverte à la manipulation.
Les sociétés de rédacteurs garantissent-elles un écran suffisamment fort et réel pour éviter une telle limitation ?
Le mensonge d’Etat, élevé à bas bruit au rang de vertu dirigeante, échappe à toute sanction, même parfois de l’élection. Son impunité crée une immunité de fait perverse, qui incite sournoisement à la récidive et à l’approfondissement de la pratique. La concentration des pouvoirs d’informer ou de distraire entre les mains de quelques-uns forme une alliance objective entre gouvernants et possesseurs de médias, qui participe de l’aggravation de la situation par ce concentré amer qui découle de ce petit jeu du « je te tiens tu me tiens par la barbichette », qui joue contre les peuples.
Le problème est trop complexe et trop sensible pour permettre une réponse rapide, mais par-delà le débat, il mérite des mesures et des contrôles.
Les grandes manœuvres de 2020-début 2021, tant dans l’édition que dans l’information, papier ou audiovisuelle, ont de quoi inquiéter sérieusement pour la santé de la démocratie et la pérennité des libertés, mais pas seulement à l’échelle de la France.
La concentration des pouvoirs d’informer ou de distraire dans les mains de quelques-uns représente plus qu’une grave menace.
Mais ces mouvements de concentration, inquiétants en eux-mêmes, qu’il faudrait brider, doivent aussi être reliés à la baisse du niveau de liberté individuelles dans les sociétés post-modernes, aggravée avec la pandémie, et malgré la magnification de l’individualisme, au renoncement rampant des parlements à défendre les droits individuels fondamentaux, et à la tentation des gouvernants de tout réglementer, ce qui aggrave considérablement le problème.
Des réponses nationales existent, parfois insuffisantes, mais au plan mondial la question des contrôles se pose de manière aigüe. Un casse-tête.
Un vrai concentré de menaces sévères pèse sur le devenir de la démocratie dans le monde.
Olivier BERNHEIM
2 juin 2021
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